

.Ce matin, en Argentine, le Sénat a légalisé l’avortement, une promesse électorale du nouveau président de centre gauche. C’est une vraie révolution pour le pays et au-delà un symbole important pour toute l’Amérique Latine, où les droits des femmes restent limités. C’est le « monde d’après ».
Il était 4h30 du matin à Buenos Aires. Lorsqu’au milieu de cette chaude nuit de l’hémisphère Sud (c’est l’été là-bas), une immense clameur a secoué le centre-ville. En apprenant le résultat du vote, très net (38 voix pour, 29 contre) des dizaines de milliers d’Argentines, réunies à côté du Sénat, ont hurlé leur joie et brandi leurs foulards verts, le symbole des militants pro-avortement. Un moment historique, après une mobilisation énorme, dans un pays profondément divisé par ce sujet depuis des années.
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La loi en vigueur jusqu’à présent datait de 1921, un siècle ! Elle n’autorisait les IVG qu’en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère. Résultat : l’Argentine compte chaque année, tenez-vous bien, entre 370.000 et 500.000 avortements clandestins ! Au cours des 15 dernières années, 7 tentatives parlementaires avaient cherché à légaliser l’IVG. Toutes avaient échoué, la dernière il y a 2 ans, justement devant le Sénat. C’est donc une longue histoire.
Le texte adopté ce matin autorise l’avortement jusqu’à 14 semaines de grossesse. Il accorde une objection de conscience aux médecins qui refuseraient de pratiquer l’intervention à condition qu’ils dirigent alors la femme vers un autre centre de santé disposé à effectuer l’IVG. La mise en œuvre de la loi sera sans doute longue et compliquée. Mais ça n’en est pas moins un tournant.
Un nombre record d'avortements clandestins
Et c’est donc un événement pour toute l’Amérique Latine parce que même en examinant la région au sens large, avec toutes les Caraïbes, seuls 4 pays autorisent l’avortement: Cuba (depuis 1965), et plus récemment, l’Uruguay, le Guyana et Porto Rico. Sans oublier 2 provinces du Mexique : celles de Mexico et d’Oaxaca. Et c’est tout !
On va le dire autrement : 97% des femmes d’Amérique Latine vivent dans un pays où l’avortement est très restreint voire interdit. Oui, interdit, totalement interdit, c’est le cas dans 6 pays : le Nicaragua, le Honduras, le Suriname, la République Dominicaine, Haïti. Et le plus radical, le Salvador en Amérique Centrale : depuis 1997, l’avortement y est assimilé à un homicide, près de 30 femmes y sont emprisonnées pour avoir pratiqué une IVG.
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Dans plus de 10 autres pays latino-américains, la loi limite l’avortement aux cas de viol ou de pronostic vital pour la mère. C’est le cas au Brésil, au Chili, au Guatemala, au Panama, etc. Et s’y ajoutent bien sûr une absence d’information sur l’IVG, une négation des cas de viols, et un refus des médecins de pratiquer les interventions.
Conséquence : au Brésil par exemple, on estime que chaque jour, 6 fillettes âgées de 10 à 13 ans avortent clandestinement. Chaque jour. Au total, en Amérique Latine, 3 avortements sur 4 sont clandestins avec les risques sanitaires que cela comporte. Chiffre de l’Organisation Mondiale de la Santé.
L'alliance des catholiques et des néo pentecôtistes
Pourquoi des législations aussi strictes ? Parce que ces sociétés sont structurées par le patriarcat et la religion.
La religion d’abord. Avec une alliance entre les catholiques et les évangéliques néo pentecôtistes. Le catholicisme, c’est la religion traditionnelle du continent. L’Argentine est un bon exemple : c’est la terre du pape François, la référence à Dieu est inscrite dans la Constitution, l’Etat finance les écoles confessionnelles et paye les salaires des évêques, l’Opus Dei est omniprésent. Il estime que le viol et l’avortement sont des crimes comparables. Les évangéliques, c’est la puissance montante, au Brésil comme en Amérique Centrale. Beaucoup de ferveur, beaucoup de jeunes, une vraie présence sur les réseaux sociaux.
Ensuite, nous sommes en présence de sociétés souvent misogynes, machistes et patriarcales. C’est particulièrement net en Amérique Centrale, où la culture des gangs n’arrange rien. Les féminicides sont d’ailleurs monnaie courante. La femme reste perçue comme ayant un rôle avant tout reproductif. Et ça n’a rien à voir avec la couleur politique. Même des régimes se revendiquant (à l’origine) du marxisme, au Nicaragua ou au Venezuela, sont restrictifs sur l’avortement.
En fait, l’Amérique Latine est traversée par deux mouvements opposés en pleine confrontation : un repli religieux conservateur et un élan progressiste porté d’abord par les femmes. Ce matin, c’est le deuxième qui a gagné une bataille. Et vu le poids politique de l’Argentine, cette victoire pourrait en appeler d’autres sur le continent.
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