

C'est une interview qui déménage : dans un entretien au magazine Time, l’ex-président brésilien à nouveau candidat, critique vertement le président ukrainien Zelensky et les Occidentaux. Il les juge en partie responsables de la guerre. Ce point de vue est très répandu en Amérique Latine.
Parfois, on monte en épingle des petites phrases d’hommes politiques, en les exagérant ou en les sortant de leur contexte.
Rien de tel en l’occurrence : Lula a accordé un très long entretien, qui fait d’ailleurs la Une de Time. Et un bon tiers de l’interview est consacré à l’Ukraine.
Le propos de l’ex président brésilien est argumenté, développé.
Et ça secoue le cocotier, parce que Lula prend le contrepied de l’image d’un Zelensky devenue une icône de la résistance légitime à l’invasion russe.
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La charge est violente : « Ce type, dit Lula, à propos de Zelensky, est aussi responsable de la guerre que Poutine ».
« Você é un bom artista, você é um bom comediante », mas nao vamos fazer uma guerra par você aparacer ».
« Vous êtes un bon artiste, un bon humoriste » ajoute Lula en faisant allusion au passé de showman à la télévision de Zelensky, mais
"On ne fait pas la guerre pour que vous fassiez le spectacle ».
Vous feriez mieux de négocier avec Poutine, continue Lula, qui reproche au président ukrainien de « passer son temps à l’écran, matin, midi et soir ».
L’attaque en règle vise aussi les Occidentaux : Lula dénonce la responsabilité des États-Unis et de l’Union Européenne. « Vous auriez dû dire tout de suite : l’Ukraine n’entrera pas dans l’Otan. Il n’y aurait pas eu la guerre ».
Biden, conclue Lula, aurait dû aller voir Poutine à Moscou, « c’est ce qu’on attend d’un leader ».
Bref, l’ancien président brésilien adopte presque le point de vue de la Russie.
Le réflexe anti États-Unis des gauches latino-américaines
Donc ce n’est pas un dérapage. Alors comment expliquer cette prise de position ?
Le point de vue de Lula n’est pas isolé. Il est même représentatif du regard porté sur le conflit par une grande partie du monde non occidental.
On l’a déjà souligné ici : à part les Occidentaux, presque personne n’a adopté de sanctions contre la Russie.
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En Amérique Latine en particulier, les dirigeants de gauche sont très réticents à critiquer Moscou. La seule exception notable, c’est le jeune président chilien Gabriel Boric qui n’a pas hésité à dénoncer l’agression.
Juste après l’invasion, un tweet de sénateurs du PT, le parti de Lula, affirmait même « la politique impérialiste et agressive des Etats-Unis envers la Russie explique le conflit ». Le tweet a été retiré depuis, mais tout de même.
Au sein des gauches latino-américaines, au Mexique, en Argentine, en Uruguay, en Bolivie, au Venezuela, la Russie conserve une image positive, héritée de la période communiste, où Moscou se voulait l’allié du « Tiers-Monde » comme on l’appelait alors.
Ce n’est pas un soutien à Poutine l’homme fort (ça c’est plutôt l’apanage des mouvements d’extrême droite). Non c’est une fidélité à l’ancien « phare du socialisme ».
Et surtout, les gauches latino-américaines demeurent d’une méfiance absolue vis-à-vis de Washington. Et donc de l’Otan, perçu comme son bras armé.
Les cicatrices liées au soutien passé des Etats-Unis aux dictatures militaires en Amérique du Sud ne sont pas refermées. Et de nombreux dirigeants, dont Lula dans cette interview, rappellent l’illégitimité de l’intervention américaine en Irak.
Ce réflexe anti-Washington conduit aujourd’hui à voir l’Otan comme responsable du conflit en Ukraine.
L'écart Lula - Bolsonaro se resserre
Et en plus Lula est en campagne !
C’est l’autre explication de cette prise de position tranchée. En fait, l’ancien président, désormais débarrassé de ses soucis judiciaires, va se lancer officiellement après-demain, lors d’un grand meeting à Sao Paulo.
Il va redevenir candidat, en vue de l’élection prévue le 2 octobre.
Et il est grand temps qu’il se lance. Parce que son rival, l’actuel président d’extrême droite Jair Bolsonaro, fait feu de tout bois.
Voilà encore 2 mois, les sondages donnaient 18 points d’avance à Lula. Il n’y a plus aujourd’hui que 5 points d’écart, 40/35 dans les dernières enquêtes. Lula est même devancé par son adversaire dans les grandes villes du Sud, comme Sao Paulo.
Bolsonaro, lui, est déjà en campagne. Il multiplie les apparitions publiques.
Il courtise l’électorat populaire en débloquant des aides sociales à fonds perdus. Tout en misant sur l’effet repoussoir déclenché par Lula auprès des couches plus aisées, auprès de l’armée, des milieux de l’agro-alimentaire, des églises évangéliques.
Et ça marche : l’écart se réduit. Bolsonaro parvient même à faire oublier son bilan catastrophique dans la lutte contre la pandémie, 620.000 morts.
A moins de 5 mois de ce scrutin qui s’annonce explosif, Lula doit reprendre la main. Donc il a recours aux valeurs sûres : rien de tel qu’un peu d’anti-américanisme pour ressouder l’électorat de gauche.
Vu du Brésil, la guerre en Ukraine, c’est loin.
Mais c’est un instrument électoral à fort potentiel.
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