

La crise en Ukraine en est une nouvelle illustration : les Russes sont passés maîtres dans l'art de la désinformation. Cette fois, les Occidentaux, Etats-Unis en tête, communiquent eux aussi énormément. Ils ont clairement changé de stratégie.
Depuis le début de la crise ukrainienne, la Russie est soupçonnée de vouloir créer un prétexte pour déclencher une offensive en Ukraine. Un casus belli qui serait mis en scène par Moscou. Les Russes, on le sait, sont des maîtres de la manipulation de l’information.
Leurs mensonges ont été plusieurs fois mis au jour dernièrement. Vendredi par exemple, le dirigeant séparatiste de la région de Donetsk a ordonné l’évacuation de la population de la province face au risque d’invasion ukrainienne. Or, d’après le site d’investigation Bellingcat, cette vidéo alarmiste avait été enregistrée… deux jours plus tôt !
Une chaîne de télé russe a décrit en détail un attentat contre la voiture d’un chef de police séparatiste, images à l’appui. La plaque d’immatriculation était bien la bonne, mais elle avait en fait été décrochée du véhicule en parfait état de la victime.
On est ainsi confronté chaque jour à un déluge d’informations invérifiables.
Ce matin, la Russie annonce qu’un obus tiré depuis le territoire de l’Ukraine a détruit un poste-frontière russe dans la région de Rostov. Kiev dément aussitôt et accuse Moscou de produire de «fausses informations ».
Voilà notre quotidien de journalistes couvrant la crise en Ukraine… et on a beau avoir à France Inter trois équipes de journalistes sur place, on n’a pas pour autant les moyens de vérifier tous ces faits.
On s’efforce donc de faire preuve de prudence.
Mais cette fois, les Occidentaux multiplient eux aussi les annonces. A commencer par les Etats-Unis. Depuis le début de la crise, Washington met en garde contre une offensive russe imminente en Ukraine.
Et des documents classifiés sont régulièrement transmis à la presse. Hier soir, le Washington Post a révélé que la diplomatie américaine avait alerté l’ONU de l’existence d’une liste noire, établie par Moscou, d’Ukrainiens à tuer ou à envoyer dans des camps.
Pour le porte-parole du Kremlin, Dimitri Peskov, c’est un « mensonge », une « fiction absolue ».
Les Etats-Unis livrent ainsi chaque jour une flopée d’informations, parfois difficilement vérifiables, sorte de riposte aux manœuvres médiatiques russes.
Leurs alliés multiplient également les déclarations, les annonces.
Fin janvier, les Britanniques ont affirmé que Moscou voulait renverser le président ukrainien Zelensky et placer au pouvoir un dirigeant pro-russe.
En France, l’Elysée communique aussi comme jamais. Le conseiller diplomatique du président Macron, Emmanuel Bonne, s’adresse aux journalistes presque chaque jour lors de séances de questions-réponses d’une fréquence totalement inédite. C’est différent de ce que font les Américains mais ça participe de la même logique : contrôler le récit.
Clairement, les Occidentaux, au premier chef les Etats-Unis, ont donc changé d’approche pour contrer la propagande russe, voire, espèrent-ils, éviter une invasion de l’Ukraine.
Cette nouvelle stratégie occidentale est discutable. D’abord, elle agace les Ukrainiens. Le président Zelensky a plusieurs fois critiqué les Etats-Unis pour avoir semé la panique en appelant les citoyens américains à quitter le pays.
Les annonces alarmistes ont des conséquences : les compagnies aériennes suspendent leurs vols, les investisseurs se détournent de l’Ukraine… En résumé, c’est mauvais pour les affaires.
Ensuite, dévoiler des informations des services de renseignement présente évidemment des risques. Ça revient à dévoiler en partie son jeu, à montrer à l’adversaire que l’on connaît ses faiblesses, à le pousser à changer de stratégie.
Dans le passé, ce type de révélations a pu avoir des effets positifs. Par exemple, en 1962, en montrant des photos des missiles soviétiques à Cuba, les Etats-Unis ont pu prouver au monde que les Russes mentaient.
Mais en 2003, Washington s’est discrédité en affirmant contre toute évidence que l’Irak disposait d’armes de destruction massive.
A l’heure où les théories conspirationnistes prospèrent, de tels mensonges, quel que soit leur but, pourraient porter sérieusement atteinte à l’image de l’Occident.
Dans la crise ukrainienne, on n’en est pas là. La stratégie les Etats-Unis et de leurs alliés consiste à mettre le monde en garde chaque jour contre l’imminence d’une invasion russe. Si cette attaque n’a pas lieu, leur crédibilité sera certes entamée… Mais c’est un petit prix à payer pour éviter la guerre.
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