

L’Union Européenne a confirmé hier soir l’envoi d’une mission d’observation en Arménie, dans le Caucase, après l’attaque de son voisin, l’Azerbaïdjan. C’est une décision pertinente, mais elle comporte un risque : que l’Europe se retrouve rapidement en contradiction avec elle-même sur ce sujet.
On s’autorise suffisamment ici même à critiquer l’Europe, pour le dire cette fois sans chipoter : la confirmation de l’envoi de cette mission civile d’observation est une bonne nouvelle.
D’abord, c’est la traduction rapide et concrète d’une promesse faite il y a moins de deux semaines. Après la rencontre à Prague, sous la houlette d’Emmanuel Macron, entre les dirigeants azerbaïdjanais et arménien.
Le président français avait réitéré cette promesse lors de son interview télévisée la semaine dernière.
C’est chose faite et ça n’a pas trainé. Tant mieux : l’Europe tient parole.
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Ensuite cette mission est porteuse d’un espoir de paix.
Ces 40 observateurs, en provenance de la Géorgie voisine selon nos informations, ne sont pas des Casques Bleus. Mais leur présence devrait quand même calmer les esprits.
Ils vont pouvoir constater la situation : le fait que le mois dernier, l’Azerbaïdjan a profité du fait que l’attention est concentrée sur l’Ukraine, pour s’emparer d’une partie du territoire arménien (avec 300 morts à la clé).
Une agression bien au-delà de la zone contestée du Haut Karabakh.
Cette mission va d’ailleurs pouvoir travailler aussi sur le tracé des frontières, et ne pas laisser ce soin exclusif à la Russie.
C’est une affirmation de puissance de l’Europe, une façon aussi de dire aux régimes autoritaires qu’ils ne sont pas autorisés à toutes les conquêtes sous prétexte que l’Ukraine concentre les regards.
Un gros contrat gazier
Cette mission, c’est donc en soi une victoire diplomatique.
Mais ce volontarisme diplomatique pourrait buter rapidement sur les intérêts économiques.
Et il y a là une sensation de déjà vu : ça rappelle la façon dont l’Europe s’est longtemps voilée la face sur la dérive autoritaire de Poutine, parce que notre dépendance au gaz russe primait alors sur les autres considérations.
L’Azerbaïdjan du président Aliev, au pouvoir depuis 20 ans, est devenu un régime autoritaire, surarmé. Et agressif envers l’Arménie : une revanche après sa défaite contre ce même voisin dans le Haut Karabakh il y a 30 ans.
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Mais l’Azerbaïdjan est riche en énergies fossiles. Les 20èmes réserves mondiales de pétrole, les 25èmes de gaz.
Et au début de l’été, la présidente de la commission européenne est allée signer un gros accord gazier avec le président Aliev. Afin qu’il double ses livraisons à l’Europe d’ici 5 ans. Elles ont déjà augmenté de 30% en 6 mois.
Ursula von der Leyen l’a même qualifié de « partenaire très fiable ».
Tout cela parce que nous cherchons à briser notre dépendance au gaz russe.
Soit dit en passant, une fois que ce gaz d’Azerbaïdjan arrive sur le sol européen, via la Grèce et l’Italie difficile de savoir où il atterrit exactement. Peut-être en partie en France, c’est impossible à tracer.
Et le pompon, c’est que ce gaz d’Azerbaïdjan est exploité par une société qui dépend en partie de la compagnie russe Lukoil. Tout ça pour ça !
En résumé : nos intérêts économiques en Azerbaïdjan risquent de refroidir nos ardeurs diplomatiques en Arménie.
Le risque du cache-sexe
Cette incohérence saute déjà aux yeux.
Elle saute aux yeux de façon générale sur l’approvisionnement européen en pétrole et en gaz : couper les ponts avec Poutine, dont acte. Mais si c’est pour se jeter dans les bras des potentats d’Asie Centrale, du Caucase ou du Golfe Persique, ça n’est pas glorieux !
Ca confirme l’urgence d’en finir au plus vite avec les énergies fossiles.
Pour en revenir au dossier Arménie – Azerbaïdjan, l’Europe ne va pas pouvoir se contenter, si elle veut être cohérente, de l’envoi de 40 observateurs civils.
Dans cette affaire, tout la pousse, sur le plan des valeurs démocratiques, du côté de l’agressé, l’Arménie, un régime autrement plus respectueux des libertés que l’Azerbaïdjan.
Il faut alors aller au bout de la logique :
- Enquêter sur les récents crimes de guerre (viols, exécutions sommaires) commis par l’Azerbaïdjan et déjà documentés par Human Rights Watch ;
- Prendre position sur le tracé des frontières et le statut du Haut Karabakh ;
- Voir soutenir militairement l’Arménie.
Sinon, cette mission d’observation laissera un goût amer. La sensation que c’est une devanture, un cache-sexe pour dissimuler le fait que les intérêts gaziers priment au bout du compte.
La sensation aussi que le soutien militaire à l’Ukraine est un cas à part, qui permet de mieux dissimuler un refus de s’engager sur d’autres théâtres.
L’Europe ira-t-elle au bout de sa logique ?
Comment dire ? Oui j’ai un doute.
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