Une vive polémique agite les États-Unis, après la publication de photos qui montrent des garde-frontières à cheval en train de refouler des migrants à la frontière. Mais il faut aller au-delà de ces images spectaculaires : derrière le cow-boy, il y a la nationalité des migrants. Des Haïtiens.
On se croirait dans un mauvais western.
Sur ce reportage photo signé Paul Ratje de l’Agence France Presse, plusieurs gardes à cheval qui ont tout du cowboy : jambières, chapeau large et foulard autour du cou. Ils font tournoyer leurs rênes comme un lasso. Ils pénètrent dans le Rio Grande à la frontière avec le Mexique. Et ils en chassent des migrants illégaux parvenus sur le sol américain, des migrants en train de se laver ou de retourner au Mexique pour y trouver à manger.
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Si on ajoute que ces migrants sont tous noirs de peau, haïtiens pour la plupart, vous mesurez la portée symbolique de l’image : un cowboy blanc traite des noirs comme du bétail. Saisissant. La polémique n’a donc pas tardé à gagner Washington hier soir. L’élu démocrate du Mississippi Bennie Thompson a dénoncé « des images horribles et très dérangeantes ».
Et la porte-parole de la Maison Blanche Jen Psaki a été mise en difficulté lors de son point presse. Elle a dû le concéder : « je ne vois pas dans quel cadre ce traitement serait approprié ».
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Les services d’immigration et de douanes vont donc ouvrir une enquête. Et ce type d’incident pourrait bien se reproduire, parce que de nouveaux flux de migrants arrivent à la frontière. Or presque tous sont donc… haïtiens. Pas originaires d’Amérique Centrale, du Honduras ou du Salvador comme souvent ces dernières années. Non : Haïtiens, venus des Caraïbes. Et c’est là que l’affaire prend une nouvelle dimension.
Haïti au fond du gouffre
Il ne faut pas s’arrêter au seul sujet de la violence du cowboy; le vrai sujet, c’est Haïti et c’est là que se trouve le sujet de départ. Les Haïtiens fuient leur pays. En masse.
Ils partent vers l’Amérique du Sud. Vers la Colombie souvent. Parfois l’exode les conduit plus au Sud encore, au Brésil, au Chili. Et plus récemment, ils cherchent, depuis la Colombie, à traverser toute l’Amérique Centrale (au moins 4000 km) pour gagner les États-Unis. A la frontière entre la Colombie et le Panama, il en arrive des centaines voire des milliers chaque jour. Leur hantise, c’est de retourner en Haïti.
Les Haïtiens fuient leur pays. Et on les comprend. Tant cette terre de 10 millions d’habitants s’enfonce dans un chaos total, un puits sans fonds.
C’est une tragédie dont on ne compte plus les facettes.
- La dernière en date, un séisme qui a fait 2200 morts en août. La rentrée scolaire a été reportée à octobre, les écoles sont inutilisables.
- Juste avant, en juillet, l’assassinat du président Moïse, un tyran corrompu. Son premier ministre a été mis en cause depuis, mais le procureur a été limogé. Il n’y a plus d’Etat.
- Les gangs, près de 200 font régner la terreur et s’affrontent pour contrôler des quartiers. En face l’armée compte 500 hommes en tout et pour tout !
- Résultat : près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, 650.000 personnes sont en état d’urgence humanitaire.
Alors oui les Haïtiens fuient. Comme l’écrit le grand écrivain haïtien Dany Laferrière,
« on n’attend qu’une chose de ceux qui quittent le pays, c’est qu’ils ne reviennent pas ».
L'indifférence générale
Et le hic, c’est que Haïti, désormais tout le monde s’en fout. Il y a bien encore quelques ONG sur place mais globalement le regard politique et médiatique est ailleurs.
Pourquoi ? Sans doute d’abord par lassitude. Haïti décourage. Elle décourage les Haïtiens eux-mêmes. Et aussi leurs amis à l’étranger. Les bailleurs de fond internationaux ont l’impression que l’argent de l’aide disparait dans la corruption, dans la collusion entre les gangs et quelques grandes familles. Par exemple aujourd’hui, l’Union Européenne retient une aide de plusieurs millions d’euros, par manque de garanties sur son utilisation.
Il y a aussi de l’aveuglement. Par exemple, les principaux partenaires internationaux d’Haïti ont longtemps fermé les yeux sur la dérive politique et la gouvernance despotique du président Moïse.
Et puis Haïti c’est trop petit. Pas d’enjeu géopolitique ou si peu. Les États-Unis, le grand voisin, ont d’autres chats à fouetter. Un gros chat surtout : la Chine. Ils se désengagent même du Proche et du Moyen-Orient. Alors Haïti, n’en parlons pas.
Mais le résultat des courses, par effets en chaine, ce sont les images du Rio Grande. Et le comble de l’ironie c’est que ces réfugiés haïtiens arrêtés par les cow-boys états-uniens sont renvoyés… en Haïti. Dans cet enfer sur lequel nous fermons les yeux.
Le western américain ne doit pas cacher la tragédie haïtienne.
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