"Kodjo", de Max Annas

France Inter
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L’an dernier, Michel Abescat nous avait parlé du premier roman traduit en français de l’Allemand Max Annas, "Enfer blanc", qui se passait en Afrique du Sud. Et voici le second, "Kodjo". Cette fois nous sommes à Berlin. "Kodjo" est-il aussi réussi qu’"Enfer blanc" ?

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La réponse est oui  ! Même si les deux romans sont différents. Il y avait dans le premier une dimension tragi-comique, certaines scènes relevant même de la farce. La comédie est absente de celui-ci.

Kodjo est un jeune homme dont la famille habite au Ghana. Ils ne sont pas pauvres, le père est à la tête de plusieurs entreprises. Kodjo, qui a fait des études d’histoire, voulait simplement vivre en Europe. Il est venu en Allemagne, s’est marié. Il a d’abord travaillé comme assistant de recherche à l’université, puis pour une ONG. Malheureusement, celle-ci a perdu ses subventions, Kodjo a été licencié et sa femme a voulu divorcer.

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Privé de statut légal, le jeune homme est alors devenu clandestin. Le roman raconte le quotidien de Kodjo, celui des Noirs sans papiers à Berlin

Cet aspect du roman est très concret, incarné par mille détails qui le rendent passionnant. Ne jamais courir dans la rue, par exemple, car un Noir qui court est toujours un Noir qui fuit aux yeux de la police.

Kodjo est logé par une femme beaucoup plus âgée, à laquelle il est contraint de consentir régulièrement quelques services sexuels. Il travaille clandestinement pour un bistro, comme aide de cuisine. Là aussi il est à la merci permanente d’un contrôle.

Avec la patronne du bistro ils ont ainsi mis au point un système d’alerte. Dès que la fameuse chanson de Youssou N’Dour et  Neneh Cherry, 7 Seconds, se fait entendre, il doit se cacher. 7 secondes pour disparaître…

Il y a un tournant dans le roman, quand Kodjo va être témoin d’un meurtre…

Oui, comme dans Fenêtre sur cour, le célèbre film d’Hitchcock avec James Stewart.

Du squat où il passe la nuit, Kodjo assiste au meurtre d’une prostituée dans l’immeuble d’en face. Pour lui venir en aide, il se rend dans cet immeuble, voit l’assassin qui s’enfuit, et se fait repérer par une voisine de la victime.

À partir de là, il est coincé. Il ne peut pas aller à la police, vue sa situation irrégulière. Devient le suspect n°1. Et cherche seul à retrouver le meurtrier qui ne va pas tarder à réagir…

Et la dernière partie du roman est une course-poursuite…

Kodjo se retrouve dans la situation qu’il voulait à tout prix éviter : il est devenu le fugitif, traqué par les flics et l’auteur du meurtre.

Cette dernière partie devient ainsi la métaphore de sa vie de migrant. Il doit constamment s’échapper, se cacher, devenir invisible.

Extrait du livre :

Kodjo reprit sa course. Ne sois pas idiot. Tout droit. Descendre du pont. Quelque part… plus loin, là-bas, il y aurait une autre sortie de métro. Il courut plus vite. Encore plus vite. C’était son avantage. En courant, il pouvait leur échapper. Il donnait tout ce qu’il avait. Il sentait l’épuisement, mais aussi que son corps avait encore beaucoup de ressources. Il en utilisa un peu plus. Allongea la foulée, augmenta la fréquence. À gauche une clinique ; à droite, un quartier résidentiel. Ce n’était pas si loin.  Ses mollets lui faisaient mal. Il courait vite, mais pas sans effort. Il les avait sans doute semés. Enfin.

C’est une scène très cinématographique

Comme dans son premier roman, Max Annas privilégie les chapitres courts, travaille sur le rythme. Sa prose est très visuelle, très physique. Il montre les gestes, les mouvements, les comportements. Il trace une saisissante géographie de la fuite de Kodjo dans Berlin la nuit. Le lecteur participe à sa course effrénée pour la survie. À bout de souffle, comme lui.  Jusqu’à la fin, inéluctable et tragique.

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