« L’attaque du Calcutta-Darjeeling », d'Abir Mukherjee

France Inter
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« L’attaque du Calcutta-Darjeeling » est le premier tome d’une série écrite par un Anglais dont la famille est d’origine indienne, Abir Mukherjee. Quatre livres ont déjà été publiés, mais un seul en français, il vient d'être traduit et ce premier volet se passe à Calcutta, en 1919…

C’est un moment très intéressant, car c’est le commencement de la fin de la colonisation britannique. Le mouvement pour l’indépendance prend de l’ampleur, les théories de Gandhi sur la désobéissance civile non violente font tache d’huile. Ce n’est pas un hasard si le roman commence précisément le 9 avril 1919, quelques jours avant le massacre d’Amritsar dans le Pendjab. Le 13 avril le général Dyer fait tirer sur une manifestation non violente. Le bilan est terrifiant : 379 morts, 1 200 blessés. 

C’est ce contexte qu’explore le livre, qui montre avec finesse, l’atmosphère de l’époque, le poids des hiérarchies sociales, raciales et coloniales, les inégalités féroces, économiques, politiques, juridiques. Et la manière dont l’empire britannique change les hommes, inculque aux Anglais fraîchement arrivés la conviction de leur supériorité sur les Indiens, les rendant cyniques et bornés.

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L’idée géniale de ce polar, l’ironie hautement subtile, est d’avoir composé une intrigue en forme de parfaite énigme à l’anglaise, un whodunit digne d’Agatha Christie ou de Conan Doyle. Celui qui mène l’enquête, le capitaine Wyndham, a d’ailleurs la même addiction à l’opium que Sherlock Holmes. 

Tout commence par la découverte du cadavre d’un haut dignitaire britannique...

C'est un proche collaborateur du vice-gouverneur du Bengale, dans une ruelle mal famée de Calcutta.

Extrait : 

Le corps gît sur le dos, tordu et à demi submergé par un cloaque à ciel ouvert. La gorge tranchée, les membres comme disloqués, et une grosse tache de sang brun sur un plastron empesé. Il manque des doigts à une main et un oeil a été arraché de son orbite -cette ultime indignité est l’oeuvre des gros corbeaux noirs qui montent encore une garde sévère sur les toits. Autrement dit, ce n’est pas une fin très digne pour un burra sahib. J’ai quand même vu pire. Enfin, il y a le message. Un bout de papier taché de sang, roulé en boule et enfoncé de force dans la bouche comme un bouchon de liège dans une bouteille. C’est un détail intéressant et nouveau pour moi. Quand vous croyez avoir tout vu, c’est agréable de découvrir qu’un meurtrier peut encore vous surprendre.

Un roman au ton subtilement distillé

Il y a d’abord l’humour british du capitaine Wyndham, l’enquêteur qui est aussi le narrateur de l’histoire. Et la causticité du regard de l’auteur. Le texte est savoureux, drôle, décapant. Il met en scène une enquête que chacun voudrait voir vite bouclée. Pour les autorités britanniques, il s’agit à l’évidence d’un assassinat politique perpétré par des « terroristes » indiens qu’il s’agit de condamner au plus vite. Mais l’affaire va se révéler beaucoup plus complexe. Après la découverte du cadavre du dignitaire britannique, il y aura l’attaque du train Calcutta-Darjeeling qui donne son titre au roman. 

Wyndham va vite se trouver sous pression, douter de son propre jugement, l’intrigue est passionnante et finement tricotée.

De nombreux personnages bien campés

Abir Mukherjee crée un monde qui lui servira sans doute pour toute la série. Parmi tous ces personnages, deux son à retenir : le capitaine Wyndham d’abord, le narrateur. Ancien de Scotland Yard, vétéran de la grande guerre, veuf, il vient juste d’arriver en Inde. Son regard est neuf sur le pays. Il découvre la réalité de Calcutta, le monde colonial, il évolue très vite. C’est un personnage plein de doutes, vraiment intéressant. 

Et puis il y a le sergent Banerjee, son second. Indien, passé par Cambridge, il fait partie de cette élite indienne qui va rompre avec le colonisateur britannique après le massacre d’Amritsar. Son ambivalence, sa lucidité désespérée, son humour aussi, en font une figure passionnante.