"La mère noire", le nouveau récit des auteurs Jean-Bernard Pouy et Marc Villard, est fidèle au jeu de langage caractéristique de ce deux grands noms du polar français…
Les deux se connaissent bien, et ce n’est pas la première fois qu’ils écrivent à quatre mains. Chez Rivages, depuis 2005, ils ont ainsi publié trois textes. Le premier s’intitulait Ping-pong, et c’était exactement ça, des échanges très vifs, un dialogue littéraire très rapide.
Cette fois-ci, il s’agit plutôt d’un passage de relais. Pouy a écrit la première partie, l’a envoyée à Villard qui s’est chargé de la suite en s’emparant d’un personnage secondaire pour le développer. L’ensemble se présente donc sous l’égide du jeu, chacun restant sur son terrain de prédilection. Et c’est un régal.
Le roman s’ouvre donc avec le texte de Pouy dont le titre est à nouveau un jeu de mots : « L’art me ment ».
Le ton est donné d’emblée, cette première partie est riche de jeux de langage et de formules aigres-douces dont Pouy a le secret. On rit beaucoup, même si, derrière sa fantaisie, le regard est souvent cruel.
Pouy met en scène deux voix, pleines de gouaille, celles d’un père et d’une fille qui vivent seuls depuis le départ de la mère. La gamine, Clotilde, fait beaucoup penser à la Zazie de Raymond Queneau, auquel le texte fait d’ailleurs explicitement référence.
Difficile de faire le pitch, tant le scénario est farfelu. Et c’est évidemment ce qui en fait le sel. Disons que l’essentiel se passe en Bretagne, dans une petite gare désaffectée rachetée par le père, où sa fille élève des poules. Jusqu’à ce que leur tranquillité soit dérangée par l’intrusion dans leur gare de militants syndicaux défenseurs des petites lignes SNCF.
Mes poules, je les aime, parce que je peux enfin parler longtemps avec quelqu’un sans qu’il la ramène, je les promène tous les jours, on va sur les rails et on dirait qu’elles jouent au train, en vérité, c’est surtout Maman Balladur qui les balade, c’est vraiment un coq de compète, beau comme toutes les illustrations de coq qu’on voit dans les livres où ça chante toujours, planté sur un tas de fumier, devant un beau lever de soleil, c’est mon père qui l’appelle comme ça, Balladur, j’ai cherché sur Oui Qui, et quand j’ai vu la photo du vrai Balla, j’ai un peu trouvé que, de la part de mon père, c’était une insulte, car, le fameux Balla, il ne ressemblait pas du tout à un coq, mais à un dindon.
Avec la deuxième partie, le ton va changer. Villard prend alors les commandes…
Et va réussir une sorte de novella bouleversante, bien dans sa manière. Il s’empare du personnage de la mère, Véro, absente dans la première partie, soi-disant partie mener sa vie en Inde. Et raconte sa trajectoire après qu’elle ait abandonné sa famille. Un itinéraire qui la conduit en fait dans le sud de la France, en compagnie d’un type à la ramasse. Et de fil en aiguille, dans une clinique psychiatrique.
Véro est une sorte d’archétype des personnages villardiens, des marginaux, des fragiles, englués dans leur destin dont ils ne parviennent pas à s’affranchir. La dérive de cette femme est d’une cruauté absolue, mais le regard de Villard, certes pessimiste, n’est jamais cynique, porté au contraire par une humanité et une tendresse déchirantes. L’écriture, économe de ses moyens, proche du réalisme poétique, évite le pathos et le misérabilisme.
Deux textes, un même regard sur la société.
Les deux écrivains viennent du néo-polar. Dans la première partie, Pouy évoque, en filigrane, le mouvement des gilets jaunes, les territoires oubliés que les trains desservent de moins en moins, les violences policières. Villard quant à lui met en scène des paumés, des exclus, qui vivent dans des cabanons ou des caravanes et finissent chez les « fous » faute d’avoir trouvé leur place ailleurs. Le jeu littéraire mis en place par les deux écrivains est plus sérieux qu’il n’y paraît.
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