"Mogok", d'Arnaud Salaün

"Mogok" le livre mystérieux d'Arnaud Salaün
"Mogok" le livre mystérieux d'Arnaud Salaün ©Getty - Jung Getty
"Mogok" le livre mystérieux d'Arnaud Salaün ©Getty - Jung Getty
"Mogok" le livre mystérieux d'Arnaud Salaün ©Getty - Jung Getty
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"Mogok" est le mystérieux titre du premier roman d'Arnaud Salaün. Mogok est une ville de Birmanie, connue pour ses mines de pierres précieuses, en particulier de rubis. C’est à cet endroit que va s’achever le roman. Mais il commence en France…

L’histoire se déroule essentiellement à Paris et met en scène un tueur à gages, Bandian, né à Belgrade. Un personnage plutôt solitaire, du genre taiseux, animal, et d’apparence glacée.

Quand s’ouvre le récit, il est contacté pour éliminer le PDG d’un groupe français d’armement, spécialisé dans les drones de combat

C’est un début de polar plutôt classique, le tueur à gages est un archétype du genre. Mais la bonne surprise est qu’il s’agit en fait d’une brillante variation au ton singulier.

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Sa première qualité est littéraire, les mots sont d’une précision chirurgicale, le regard à distance, avec un art consommé du chaud et froid. Les dialogues sont au couteau. Et l’auteur pratique avec bonheur l’humour noir, vachard et caustique.

En témoigne ce portrait d’un client texan que le marchand d’armes, Herman, reçoit à l’occasion d’un grand salon international… 

Extrait :

Herman aime savoir à qui il a affaire, il a pris soin de saisir le nom de son prospect sur Google, s’est un peu attardé sur sa biographie mais aussi sur les photos proposées par le moteur de recherche : photo assis derrière une table nappée de velours bleu, se penchant sur un micro au pied duquel un chevalet en carton indique, en lettres gothiques, « Richard Twain, National rifle Association » ; photo en compagnie d’un jeune type au gabarit excédentaire qui a tout l’air d’être son fils ; photo accroupi près de la dépouille d’un guépard sur laquelle est appuyée une carabine semi-automatique Browning de calibre 300 Winchester Magnum. De cette petite opération de stalking il ressort que Twain est un type obèse à la moustache jaunie par le tabac. Il semble ne jamais se séparer de sa cravate bolo, dont la lanière de cuir lui lèche le gras du cou. On peut sans trop se mouiller se représenter un personnage fort en gueule, sans prendre de risques inconsidérés supposer que c’est ce qu’on appelle un gros con.

Le personnage central du tueur à gages, sort également des sentiers battus

Loin d’être monolithique, Bandian rêve de sortir de sa condition quand il rencontre un groupe de jeunes artistes branchés qui l’invitent à imaginer un avenir différent.

Pourquoi ne pourrait-il pas, lui aussi, accéder à ce monde de fête permanente où il semble si facile de s’auto-proclamer artiste, d’exposer ses œuvres même les plus improbables ?

Sans mesurer la cruauté de l’expérience qu’il va vivre, Bandian s’étourdit ainsi à suivre ses nouveaux amis, fans de contre-culture techno, dans leurs délires noctambules dont le roman propose une véritable bande-son, comme ce morceau de Mathew Jonson, Marionette, sur lequel, bien chargé, Bandian va partir à la dérive…

Extrait musique 

Et tout va donc se finir loin de Paris…

Ce sera pour Bandian un atterrissage difficile. Et le lecteur sort de ce livre frappé par sa violence et sa sauvagerie. Parfois physique, frontale. Mais aussi sous-jacente, du côté des rapports sociaux de domination. 

À l’image de Bandian, le livre est âpre, mais aussi très fin, et sensible. Il dit un monde crépusculaire où chacun s’étourdit comme il peut. La fin est ouverte, peut-être y aura-t-il un suite. On l’espère.

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