"Noir diadème", de Gilles Sebhan

France Inter
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Depuis 2018, paraît chaque année, en janvier, un nouveau volume d’une série à l’atmosphère très singulière, étrange et obsédante, écrite par Gilles Sebhan. Voici donc le quatrième épisode, "Noir diadème".

Cette série m’intéresse et m’intrigue depuis le début. Noir diadème, pour commencer, est un excellent polar, angoissant et envoûtant, remarquablement écrit et composé.

Au commencement, il y a un corps

Celui d’un adolescent retrouvé nu dans une zone périurbaine du nord de la France. La victime est un jeune migrant, qui survivait en se prostituant, et dont le corps a été atrocement mutilé, émasculé, le cœur arraché de la poitrine.

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Le lieutenant Dapper, au centre de tous les épisodes précédents, est chargé de l’enquête

C’est un homme blessé, élevé sans parents, et dont le fils a été enlevé dans le premier épisode. Depuis qu’il l’a retrouvé, celui-ci a changé. Il lui échappe.

Dapper est omniprésent dans ce nouvel épisode, encore plus que dans les précédents. On le suit pas à pas dans son enquête et les affres de celle-ci. Car Dapper va faire du destin du jeune migrant assassiné une affaire de plus en plus personnelle.

En particulier quand il apprend que le cœur a été prélevé par un professionnel et que le corps a été volé à la morgue. Dapper va évidemment chercher à savoir pourquoi et par qui. Mais au-delà de cette mission naturelle du flic, c’est un devoir bien plus élevé qui s’impose à lui. Celui de retrouver le corps martyrisé pour lui donner une sépulture, comme s’il s’agissait de son fils. Comme Antigone avec son frère.

Le polar se hisse alors à la dimension de la tragédie antique

Extrait :

Dapper écouta plusieurs fois le message, jusqu’à l’écoeurement. Tandis que sa voiture filait dans le paysage, il tentait de percer le mystère de cette voix qui lui laissait cette découverte comme un héritage empoisonné. Que signifiait exactement ces mots ? Le policier avait beau se répéter la question, il ne parvenait pas à réfléchir. Une chose affreuse parasitait sa pensée. La disparition du garçon. Comment imaginer qu’après avoir été horriblement mutilé, sans doute violé, laissé à l’état de cadavre dans un terrain vague, soumis aux intempéries comme un vulgaire détritus, le garçon allait subir l’ultime humiliation de ne pas recevoir de sépulture ? Pas même une cérémonie, pensa Dapper, tu n’auras même pas ça, tu demeureras perdu, enseveli dans le silence et la nuit. Sa phrase resta en suspens à l’intérieur de lui. Il s’aperçût que pour la première fois il s’adressait au garçon directement, qu’il lui parlait à travers les strates du temps qui séparaient les morts des vivants.

Peut-on lire ce quatrième volume sans avoir lu les précédents ?

On peut lire Noir diadème indépendamment des autres. Mais ce serait dommage de ne pas considérer l’ensemble dans l’ordre de parution, tant le projet romanesque de l’auteur se déploie peu à peu. Chaque épisode prolonge le précédent, approfondit les personnages qui mettent du temps à se révéler dans toute leur ampleur et évoluent de livre en livre.

Mais de l’ensemble surtout se dégagent des thématiques qui sont les obsessions de l’auteur. Comme l’enfance ou les relations père-fils. L’enfance est au cœur de cette série… Une enfance hors norme en fait.

Les trois premiers épisodes s’organisaient autour d’un centre pour enfants psychotiques et Gilles Sebhan les montre de façon très singulière. En insistant sur les capacités qu’ils ont de voir la réalité différemment, sur leurs possibilités encore largement inexplorées.

Il en fait des sortes de princes, dotés de pouvoirs un peu chamaniques. La série s’appelle d’ailleurs Le royaume des insensés.

De même, dans ce quatrième volume, les jeunes migrants deviennent des princes sans terre qu’il invite à regarder autrement, dans toute leur humanité.

Au total, c’est le fil invisible qui relie les personnages entre eux, et plus généralement celui qui nous relie les uns aux autres, qui fait le principal mystère de cette série très ambitieuse.

Il serait dommage de passer à côté.

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