Elle est agrégée de Lettres et enseigne dans un lycée à Rennes. Son livre a pour titre Solak, un lieu imaginaire quelque part au nord du cercle polaire arctique.
Solak est un nom qui claque à l’image d’un livre particulièrement tranchant. Et qui renvoie à « solitude » ou à « soleil » qui, la moitié de l’année, s’absente totalement.
Caroline Hinault a imaginé un camp militaire sur une presqu’île dans le grand Nord. Un drapeau, quelques baraquements dans l’immensité glacée. Un lieu paradoxal : un huis clos dans un espace ouvert sur l’infini.
Ce lieu est un personnage à part entière. Le texte en dit la beauté à couper le souffle, mais aussi la sauvagerie et les pièges qu’il recèle, failles, fissures, crevasses, qui peuvent vous avaler avant même que vous ayez eu le temps de crier. Comme une angoisse sourde.
Solak est aussi un lieu d’expérimentation littéraire. L’autrice y place quelques personnages à l’écart de toute civilisation, seuls face à eux-mêmes, et observe comment ils se comportent.
Trois hommes
Deux militaires au passé trouble, relégués là pour des raisons mystérieuses. Et un jeune scientifique, qui prélève de la glace sur la banquise.
À travers eux, Caroline Hinault interroge différents visages de la masculinité. Roq par exemple, est celui qui mise tout sur sa puissance physique, et construit son identité d’homme sur le rapport de force avec les autres et avec la nature. Le personnage, à la limite de la caricature, est fascinant.
Grizzly, à l’inverse, le scientifique, est un idéaliste, soucieux de l’écologie, grand lecteur de poésie. Il cherche une forme de justesse et tente de bâtir sa masculinité autrement que sur la force et la domination.
Et quand s’ouvre le roman, arrive un quatrième personnage, déposé par hélicoptère, un tout jeune soldat…
Les autres l’appellent le gamin. Il vient remplacer Igor, qui s’est suicidé. Son arrivée est ainsi placée sous le signe de la mort. Il est muet, difficile à cerner, tendu à l’extrême, et va bouleverser l’équilibre fragile qui existait dans le groupe.
Ce nouveau personnage est l’élément déclencheur d’une tragédie annoncée dès les premières pages du livre.
Il nous a tendu à chacun une main gantée nerveuse, sans rien dire. Nous on quand même dit nos noms et puis que ce serait mieux de rentrer les caisses qui traînaient encore dehors, on allait avoir tout le temps qu’il faudrait pour faire connaissance. Le gamin a pas répondu, son visage avait quelque chose d’abîmé, de déjà vieux, de déjà mort même j’ai pensé. Il est passé devant nous en portant un carton. J’ai repensé à ses yeux comme deux brochettes de glaçons. Fin comme une anguille, mais ça puait l’écorché. Le coriace. Les emmerdes, je me suis dit.
Qui est le narrateur ?
C’est un militaire, Piotr, le plus âgé du groupe. Il est là depuis vingt ans à se geler sur la banquise. Sa voix est rugueuse, acérée, désabusée aussi. Caroline Hinault l’a magnifiquement composée.
La langue qu’elle lui donne a une force singulière, pleine de colère et d’énergie, cruelle et crue. Elle charrie toutes les contradictions d’un homme blessé, qui trimballe une culpabilité liée à son passé et cherche une forme de rédemption quoiqu’il s’en défende.
Misanthrope, apparemment sans illusions, il porte pourtant une forme de sagesse, un espoir confus, presque mystique parfois. Et un sens aigu de l’image qui donne à sa voix une incontestable dimension poétique.
Une voix qui donne toute sa tension au roman
Et quelle tension ! Le lecteur est d’un bout à l’autre emporté, sans possibilité d’y échapper, par la logorrhée du narrateur.
Tout le texte est construit sans pause, sans reprise de souffle, son énergie puise dans la colère et la révolte du narrateur. L’écriture est aussi angoissante que l’histoire qu’elle met en scène. Une tragédie annoncée à plusieurs reprises, portée par la tension de l’intrigue et de la narration, la forme courte de ce roman à la trajectoire de flèche, sans un mot de trop, sans la moindre digression. À l’os.
La fin est à la hauteur de l’attente qu’il a suscitée. C’est une déflagration qui vous percute, vous saisit, vous bouleverse intimement.
Pour un premier roman, c’est un coup de maître.
Solak de Caroline Hinault, éd. du Rouergue.
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