Frédéric Pommier nous raconte le parcours de deux enfants. Deux garçons de 9 ans. L'un est né en Belgique. Il s'appelle Laurent Simons. Un parcours atypique. La presse le présente comme "un petit Einstein"... L'autre est né en Normandie. Parcours atypique, là aussi. Rafaël souffre de "troubles du spectre de l'autisme".
Pour commencer, nous allons évoquer l’histoire d’un petit garçon né il y a neuf ans à Ostende. À Ostende, comme Arno. Arno, le chanteur à la voix rocailleuse. On connaît sa chanson Les Yeux de ma mère…
Dans les yeux de ma mère, il y a toujours une lumière...
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Et elle est vive, la lumière dans les yeux de la mère de notre petit Belge. Il s’appelle Laurent Simons. Jolie bouille et les cheveux châtain clair au carré. Sa mère, Lydia, est médecin. Son père, Alexander, est dentiste. Ils sont aujourd’hui installés aux Pays-Bas, et quand on leur demande d’où viennent les capacités stupéfiantes de leur fils, Lydia Simons répond, pour rire, qu’elle a mangé beaucoup de poisson durant sa grossesse. Le poisson, c’est connu, ça rend intelligent. Mais là, on est face à une forme de précocité hors du commun.
QI de 145 et une scolarité pour le moins atypique.
Laurent n’est resté que 2 ans en primaire, seulement 18 mois au collège, et il a eu son bac l’an dernier, en 2018, à l’âge de 8 ans
Avant cela, à 7 ans, il a rejoint l'académie de médecine d'Amsterdam afin d'y mener des recherches ; le plus jeune chercheur du monde, nous expliquent les journaux. Une mémoire prodigieuse. Mémoire photographique. Il retient tout comme une éponge. Élève "extraordinaire", disent de lui ses profs, qui n’hésitent pas à employer le terme de "génie". Petit Mozart des maths. Lui, les maths, ça l’amuse et désormais, il étudie l’ingénierie électrique à la fac d’Eindhoven. Il devrait en sortir en décembre avec un diplôme d’ingénieur. Il deviendra alors le plus jeune diplômé universitaire du monde.
Un temps, il a pensé devenir astronaute. Rêve de gosse, en somme. Quand il avait 5 ans... Maintenant, il en a 9 et il s’est lancé dans un doctorat de médecine sur le prolongement de la vie grâce aux organes artificiels. La raison, c’est que ses grands-parents souffrent de problèmes cardiaques. Laurent espère pouvoir un jour les aider.
Mais ceci ne l’empêche d’avoir des passions de son âge.
Il mate des séries sur Netflix, joue à Fortnite **sur son smartphone, à la baballe avec son chien… **Son chien Samy. Son meilleur ami, parait-il. Parfois, les gens le reconnaissent dans la rue. Ils demandent à faire des selfies. Comme s'il était une bête curieuse, mais Laurent trouve ça "très chouette".
Son surnom : "le petit Einstein"
Il apprécie aussi d'avoir des milliers d'abonnés sur les réseaux sociaux. Ce sont ses parents qui alimentent ses pages, avec des photos, des articles. Il y a quelques jours, les Simons ont même organisé des interviews avec la presse, afin de présenter les exploits de leur petit surdoué.
Ce "petit Einstein", on imagine qu’il fera de grandes choses dans la vie. Mais moi, en regardant les reportages à la télé, c’est à un autre enfant atypique de 9 ans que j’ai pensé. Une enfant pas médiatisé. Et pas surdoué non plus. C’est Rafaël, le second fils de mon amie Sophie qui vit en Normandie. Sophie se demande quelle sera, plus tard, la vie de Rafaël...
Très tôt, elle a perçu qu’il était différent. Un peu dans sa bulle, agité, le regard fuyant. Ses proches tentaient de la rassure.
Tu t’affoles pour rien !
Mais à la sortie du premier jour en maternelle, la maîtresse lui explique qu'elle ne pourra pas s'occuper de son enfant toute la journée. Trop dur, trop compliqué. Ce sera uniquement le matin. Elle l'invite à aller voir urgemment une pédo-psy, et celle-ci, au bout de 30 secondes, fait part de son analyse.
Voyons madame, votre fils, il est autiste !
L’impression de se faire engueuler. Elle s’effondre dans sa voiture, puis prend rendez-vous avec un autre psychologue. Là encore, l’impression de se faire engueuler.
Non, il n’est pas autiste. S’il est si nerveux, c’est à cause de vous. Vous êtes trop protectrice !
Finalement, c’est le médecin d’un centre spécialisé qui, après six mois d’entretiens et de tests, confirme le premier diagnostic.
Rafaël est atteint de « troubles du spectre de l'autisme »
En prime : des problèmes de vue et d’audition, et puis un retard de croissance. Sa mère doit lui faire des piqûres d'hormones six fois par semaines. Rafaël ne se plaint pas. Il est coopératif. Mais, pour ses parents, c'est un parcours du combattant.
Bataille pour le faire accepter à l’école. Bataille pour obtenir une AVS, une auxiliaire de vie scolaire. Bataille contre les préjugés, contre les peurs des autres. Un jour, Rafaël invite sept copains pour son anniversaire. Mais aucun ne vient. Trois se sont excusés. Les parents des quatre autres n'ont même pas trouvé utile de répondre. Ce jour-là, Sophie se dit que son fils est "un paria"...
Rafaël a des tocs. Il a du mal à se concentrer, du mal avec la propreté, du mal à gérer ses émotions, ses frustrations. Il ne peut dormir seul dans son lit, a toujours besoin de sa mère à ses côtés, certaines nuits se réveille toutes les heures, pousse souvent des cris et tape, mais jamais les autres enfants, à l’exception de son grand frère…
Les crises peuvent être violentes et, chez lui, il refuse de porter des vêtements. Il n'a pas conscience du danger. Dans la rue, à cause des voitures, il faut le porter. Et dans les magasins, les gens le regardent de travers. Certains amis, aussi. Sophie en a perdu.
Ah bon, il est autiste ? Et il a quoi comme don ? Il sait compter les allumettes quand la boîte tombe par terre ?
Non, Rafaël n’est pas Rain Man, mais il ne cesse de progresser. Grâce à son orthophoniste, sa psychomotricienne, l’enseignante de sa classe Ulis (unités localisées pour l'inclusion scolaire)… Il a appris à lire. Comprend les jeux de société. Il adore Sam le pompier, les panneaux de signalisation et se filmer avec sa tablette quand il fait des bêtises. Désormais, il lui arrive même de dire « Je t’aime, maman ! »
Mais la suite angoisse ses parents.
Les parents de Rafaël sont très inquiets
Il n’aura pas le niveau pour la classe Ulis au collège. Notamment à cause des maths. Il faut une place en institut médico-éducatif. Mais les listes d'attente sont longues. Entre trois et quatre ans d’attente pour une place en IME. Sophie va-t-elle devoir s’arrêter de travailler ? La France manque de structures. Et propose très peu d’aides financières pour les familles. La Belgique est plus en avance. Et d'ailleurs, de nombreux parents d'enfants autistes s'y exilent chaque année.
Que va devenir Rafaël ?
Ils sont des dizaines de milliers dans son cas. Et plus tard, quand il sera grand ? À 20 ans ? À 30 ans ? À 40 ans ?
Sophie en fait des cauchemars. Elle va se battre, encore. Pour son fiston qui, certes, n’est pas un "petit Einstein" et ne sera jamais ingénieur comme Laurent Simons, mais qui est, et qui restera, l'une des raisons de la lumière dans ses yeux.
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