C'est une histoire incroyable que Frédéric Pommier nous raconte ce vendredi : la fugue d'une Saoudienne de 18 ans. Elle a voulu fuir l'oppression de son pays et de sa famille, oppression que subissent de nombreuses femmes dans le royaume, et c'est grâce aux réseaux sociaux qu'elle a pu obtenir le statut de réfugiée.
Elle s’appelle Rahaf Mohammed Al-Qunun… Elle est âgée de 18 ans, et son rêve, c’est d’être libre : s'habiller comme elle veut, se coiffer comme elle veut, épouser qui elle veut. Ou n’épouser personne. En tout cas, ne pas épouser quelqu’un que sa famille aurait choisi pour elle…
Rahaf a peur de sa famille. De son père, de sa mère. Elle dit qu’ils l’ont enfermée six mois dans une pièce, pour la punir de s’être coupée les cheveux.
Elle dit aussi qu’ils veulent l’obliger à se marier avec un homme qu’elle n’aime pas… Elle dit qu’elle a subi des violences physiques, et des violences psychologiques, et qu’elle craint pour sa vie si elle est renvoyée chez elle. Elle est persuadée qu’on la tuera si elle revient en Arabie Saoudite… Pays qu’elle a choisi de quitter le weekend dernier.
Rahaf a profité de vacances au Koweït pour s’échapper.
Trompant la vigilance de ses proches, elle a embarqué sur un vol pour l’Australie, où elle comptait déposer une demande d’asile… Le problème, c’est qu’il y avait un transfert de vol à Bangkok et là, dit-elle, des diplomates koweïtiens et saoudiens lui ont confisqué son passeport… Raison invoquée : elle n’avait pas la permission de voyager… Non, car dans son pays, les femmes ne peuvent pas prendre l’avion sans l’autorisation de leur tuteur. En l’occurrence, le tuteur de Rahaf, c’est son père, puissant gouverneur saoudien. Et ensuite, ce sera son mari, celui qu’aura choisi son père…
C’est cette existence-là que Rahaf a choisi de fuir, et pour éviter d’être extradée en Arabie saoudite, ce que la police thaïlandaise avait prévu de faire, elle a tenté le tout pour le tour.
Elle s’est barricadée dans une chambre d’hôtel à l’aéroport de Bangkok, d’où elle a envoyé, avec son téléphone, des centaines d’appels à l’aide sur les réseaux sociaux.
Des vidéos et des tweets désespérées, dans lesquels elle faisait état de sa peur d’être enlevée, emprisonnée, assassinée. Et elle en appelait à l’ONU, au HCR, le Haut-Commissariat aux réfugiés. Des messages qui ont bouleversé les internautes aux quatre coins du monde. En quelques heures, Rahaf Mohammed Al-Qunun, grâce aux réseaux sociaux, est devenue la fugueuse la plus célèbre de la planète.
On verrait cela dans un film, on aurait du mal à y croire : une jeune fille qui fuit son pays et parvient, barricadée dans une chambre d’hôtel, à alerter la communauté internationale. Car cela a fonctionné : les appels à l’aide de Rahaf ont été tellement relayés sur les réseaux sociaux que les autorités de Bangkok ont changé de position. Plus question de la renvoyer dans son pays.
Elle ne peut pas être extradée contre son gré.
Voilà ce qu'a déclaré le chef de la police de l’immigration thaïlandaise, tandis que des représentants du HCR arrivaient à l’aéroport afin de la rencontrer.
C’est sous la protection du Haut-Commissariat aux réfugiés de l'ONU qu’elle a quitté les lieux.
Et l’Australie a d’ores et déjà fait savoir, par la voix de plusieurs ministres, que sa demande d’asile serait étudiée « vraiment, vraiment, vraiment très sérieusement ». Joie de l’intéressée, mercredi, sur Twitter.
Le message est passé ! Tout le monde est désormais au courant de la situation des Saoudiennes !
Des femmes qui, depuis peu, ont maintenant le droit de conduire – eh oui ! Et même d’assister à des matchs de football ! Une petite révolution, mais une révolution de façade, car dans ce royaume ultraconservateur régi par une version rigoriste de l’islam, les femmes, au quotidien, vivent toujours sous la coupe des hommes… Les pères, les frères, les maris.
Certains, sur les réseaux, s’en sont pris à Rahaf : avec sa fugue, elle aurait déshonoré sa famille !
Mais d’autres, à l’inverse, se sont montrés solidaires, réclamant même l’abolition du système de tutelle… Système aberrant vu d’ici. Des Saoudiennes giflées, frappées – mais bon, c’était par leur tuteur, alors tout va bien, c’est normal ! Des Saoudiennes incarcérées et qui, une fois purgée leur peine, ne peuvent quitter leur prison, tout bonnement car leurs tuteurs ne veulent pas venir les chercher.
Rahaf ne veut plus de tuteur, ni de prison familiale.
Sacrée force de caractère, et belle illustration de la puissance des réseaux sociaux. Non, ils ne véhiculent pas que des horreurs : ils peuvent aussi faire des miracles, comme aider une jeune fille à fuir l’oppression d’un régime. C’est bien grâce à Twitter que Rahaf, à l’avenir, pourra voyager où elle veut, épouser qui elle veut, se coiffer comme elle veut…
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