Le marché du vin en berne : "j’prendrais plutôt une bière"

Vigne en Champagne.
Vigne en Champagne. ©Getty - wilatlak villette
Vigne en Champagne. ©Getty - wilatlak villette
Vigne en Champagne. ©Getty - wilatlak villette
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La filière viticole est en crise. La consommation de vin est en baisse et le Comité National des Interprofessions des Vins (CNIV) craint même une baisse de “60% de la consommation au cours des dix prochaines années”. Quel avenir pour le marché du vin en France ?

Avec
  • Bernard Farges Président du CIVB, le Conseil Interprofessionnel du vin de Bordeaux
  • Jean-Marie Cardebat économiste, professeur à l’université de Bordeaux
  • Iris Borrut Ingénieure agronome et directrice du label Vignerons Engagés

Les Français ont vu leur consommation de vin baisser au cours des dix dernières années. Cette baisse est notamment présente chez les moins de 35 ans : en 2021, le vin ne représentait plus que 27% de leurs achats de boissons alcoolisées, contre 39% pour la bière.

De plus, les exportations de vin français sont en déclin. Pourtant acteur principal du marché du vin français, la Chine est passée de 750 millions de litres importés en 2017 à 400 millions aujourd’hui. S'ajoutent à cela les conséquences du dérèglement climatique. Entre gel et sécheresse, les productions des vignerons sont régulièrement menacées.

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Chez les vignerons bordelais, des centaines d’hectares sont à l’abandon et les cours du tonneau de 900 litres se sont effondrés de 650 euros. Ces derniers réclament alors des aides financières de l’État pour tenter de sauver leurs vignobles.

  • Comment expliquer le déclin de la consommation de vin chez les Français ?
  • Comment la filière viticole peut-elle se relever de cette crise ?
  • Quel avenir pour les vignerons ?

Des changements de consommation

Ce sont particulièrement les jeunes qui consomment moins de vin. Chaque génération consomme moins que la précédente.

Selon Iris Borrut, ingénieure agronome, directrice du label Vignerons Engagés, les plus jeunes consommateurs n'ont pas les mêmes comportements que leurs parents : "Ils vont plutôt se tourner vers les vignerons directement, vers l'œnotourisme, pour éduquer leur palais, pour acquérir des connaissances au niveau du vin plutôt que vers leurs parents. Finalement, cette transmission-là peut, peut-être, se perdre, parce qu'il y a un intérêt moindre pour le vin."

D'autres raisons expliquent une baisse de la consommation. Comme le dit Jean-Marie Cardebat, professeur d’économie, cela est dû "à la fois à une baisse structurelle de la consommation dans notre pays et à des éléments conjoncturels avec la crise en Ukraine, le Covid... qui font qu'il y a des revenus en baisse à l'échelle mondiale et des prix en hausse. Et ça c'est extrêmement défavorable au vin qui n'est pas un bien de première nécessité et qui n'est pas celui qu'on choisira en priorité dans un rayon de supermarché." L'inflation actuelle est une donnée à prendre en compte.

Une inquiétude forte de la filière

Il y a de quoi s'inquiéter pour une filière qui emploie autour de 550 000 personnes en France. Les Italiens aussi souffrent d'une baisse de consommation, et plus encore l'Espagne, gros producteur.

La baisse de consommation en France depuis 10 ans concerne tout particulièrement les vins rouges. Auparavant, cela était compensé notamment par des exportations en Asie du Sud-Est, qui avaient gommé un peu ce problème, comme l'explique Bernard Farges, président du Comité national des interprofessions des vins.

S'ajoute à cela une pandémie et des crises commerciales qui rendent difficile la commercialisation des vins en France et à l'étranger. Beaucoup d'entreprises, en 2020, n'ont plus pu commercialiser de vin parce que les restaurants étaient fermés et les événements arrêtés.

Tout le monde n'est pas touché de la même manière. Jean-Marie Cardebat confirme qu'il y a bien un marché à deux vitesses : "Effectivement, le marché des grands crus, typiquement des grands vins, est beaucoup moins touché que celui de l'entrée de gamme. De la même façon qu'une petite entreprise a une fragilité financière, une fragilité dans sa capacité stratégique, marketing, etc. que n'a pas une grande entreprise."

Casser l'image élitiste du vin

Le vin aurait désormais une image de produit élitiste, qui est parfois aussi perçu comme un produit de luxe. Il peut y avoir un côté intimidant dans l'achat et la consommation de vin, chez les jeunes notamment. Iris Borrut explique que la filière va devoir s'adapter : "Il y a vraiment aussi un enjeu de casser le mythe autour du vin, de reconnecter les consommateurs avec le monde du vin comme on fait avec la bière finalement. Personne ne s'excuse de ne rien y connaître en bière et de ramener une bière lambda en soirée."

Bernard Farges est d'accord avec cette analyse et pour lui : "Il faut vraiment que l'on se rapproche des gens qui ne s'y connaissent pas, qu'on leur parle avec des messages de manière très différente et sans doute aussi avec des produits parfois différents. Il est évident que chez les jeunes consommateurs, ce n'est peut-être pas pour rien que le rosé a eu un développement important depuis dix ans. C'est un produit plus simple – ce n'est pas du tout péjoratif – et sans doute moins intimidant."

Selon Bernard Farges : "Il faut qu'il y ait une noblesse à alimenter des segments aussi bien d'entrée de gamme pour des néophytes que pour des grands connaisseurs avec des bouteilles qui s'apparentent finalement à l'univers du luxe." Il ajoute : "Il faut vraiment que l'on accepte les différents segments du vin. Ce n'est pas un bien homogène, c'est un bien dans lequel on a une variété, une multitude incroyable !"

À consommer évidemment avec modération, on ne le rappellera jamais assez.

🎧 Pour en savoir plus, écoutez l'émission...

Avec nous pour en parler

  • Bernard Farges, président du Comité national des interprofessions des vins (CNIV)
  • Jean-Marie Cardebat, professeur d’économie à l’université de Bordeaux, spécialiste du vin et professeur affilié à l'Insee grande école
  • Iris Borrut, ingénieure agronome, directrice du label Vignerons Engagés

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