L'Académie française criait à la "mise en péril mortel de la langue française". L'écriture inclusive représente pur beaucoup un nouveau moyen de lutter contre les inégalités hommes/femmes. Au micro de Fabienne Sintes, Bernard Pivot confiait son inquiétude quant à ce nouvel usage linguistique.
- Bernard Pivot Journaliste et critique littéraire
- Eliane Viennot professeure émérite de littérature de la Renaissance à l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne, historienne spécialiste des relations de pouvoir entre les sexes.
Le neutre dans la langue française a souvent pris les habits du masculin et c'est là d'où vient la confusion. Il est de plus en plus insupportable à certaines femmes d'être nommée au masculin, d'être rendues invisibles par l'usage dominant du masculin. Une langue volontairement machiste, rendue machiste par les hommes, disent certaines et certains. Quand on n'utilise pas des féminins, on ne pense qu'au masculin et le féminin est ainsi généralement rendu secondaire. Une langue mise en péril dit en revanche l'Académie, pour qui le masculin est neutre.
Au-delà de la féminisation de la lange française, il y a toujours une tradition quelque réfractaire à l'évolution naturelle de la langue française. Rappelez-vous de celle lointaine querelle autour du mot "nénuphar" où il était envisagé d'enlever le ph et de mettre un f à la place ; ou encore l'histoire de l'accent circonflexe plus récemment. Nous adorons, nous les Français, les querelles linguistiques et historiques, nous en faisons des débats qui tournent souvent au vinaigre. Cette fois-ci, c'est au tour de l'écriture inclusive. Si on fait autant d’histoires autour d'elle, c’est sans doute une bonne nouvelle. On parle d’attachement à une langue.
Surtout, la langue accompagne les mentalités. Est-ce que c'est parce que nous avons changé ? L'écriture inclusive existe pour répondre à plusieurs choses. D'abord le besoin d'universaliser la langue française en généralisant le masculin et le féminin. Mais surtout l'importance de trouver des abréviations, à l'heure du numérique, du développement de la communication et des réseaux sociaux. Cela n'empêche pas Bernard Pivot d'être en contradiction avec ce nouvel usage de la langue. Selon lui, la langue française a une identité, une personnalité, un esthétique. Avec l'écriture inclusive, "on est dans le bricolage".
"Un bricolage un peu bébête, ridicule et inquiétant"
Pour autant, le président de l'Académie Goncourt n'est pas réfractaire aux progrès de la langue, comme certains néologismes. Il est aussi en faveur d'une féminisation de la langue française, notamment des noms des professions. Il reconnaît que "le neutre dans la langue française a pris les habits du masculin", ce qui provoque aujourd'hui un agacement au sein d'une certaine catégorie de personnes. Néanmoins, il pointe cette fois-ci du doigt un usage qui a, selon lui plus tendance à ridiculiser et complexifier notre langue. L'amoureux de la langue considère que "le terme 'inclusive' est un adjectif bien savant pour désigner un bricolage un peu bébête. Féminiser la langue pourquoi pas. Je suis pour certains mots féminins bien entendu, la féminisation des professions, des fonctions, mais je trouve qu'on tombe dans le ridicule avec l'ajout systématique de E et de S comme cela isolés au milieu de trois points. Enfin, qui ne voit pas que c'est inesthétique, ridicule et illisible ! Voilà qui va compliquer sérieusement l'apprentissage de la langue française avec ces lettres entrecoupées de points".
Il voit d'un œil assez inquiet l'évolution de la langue en ce sens qui risque, selon lui, de "devenir très compliquée du fait de toutes ces écritures différentes. Notre langue risque de devenir du charabia. Je trouve ça inquiétant".
S'il ne s'oppose pas à la féminisation des mots, à l'idée que cet usage inclusif rende davantage de visibilité aux femmes dans la langue, par l'emploi de nouveaux mots, il suggère que cette nouvelle expression pourrait nuire à la beauté de la langue française "la langue française repose sur un emploi très subtil, très raffiné, très fragile, et toutes ces propositions sont autant de violences faites à la langue française… On ne pense jamais à l'esthétique de la langue française. Les langues ont une apparence, ont une image, une personnalité, une esthétique. Si vous supprimez de cette langue les accents circonflexes, les traits d'union et que vous mettez des points, des e, des s, vous la défigurez et elle part en quenouille. Rien que pour ça, je refuse ce que j'appelle ce bidouillage, ce tripatouillage".
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