La perpétuelle question du nombre des fonctionnaires

Manifestation de fonctionnaires le 1er mai 1946 à Paris
Manifestation de fonctionnaires le 1er mai 1946 à Paris ©Getty - Keystone-France
Manifestation de fonctionnaires le 1er mai 1946 à Paris ©Getty - Keystone-France
Manifestation de fonctionnaires le 1er mai 1946 à Paris ©Getty - Keystone-France
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La définition juridique du fonctionnaire n’ayant jamais été stabilisée, il est bien difficile de fonder des comparaisons entre les époques ni même de se mettre d'accord sur des chiffres globaux d'autant que le massif du fonctionnariat a maintenant trois versants : étatique, territorial, hospitalier.

-La polémique française État agile vs État obèse semble vieille comme... le monde. Le mot bureaucratie apparait dans la deuxième moitié du XVIIIe, le mot fonctionnarisme en 1872. On se souvient de ce mot d'esprit : "La France produit d’abondance le blé, le vin et les fonctionnaires".

Avec le livre dont je vais vous, parler, "Trop de fonctionnaires ? Une obsession française", on ne plaisante pas.

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L'auteur s'appelle Emilien Ruiz, il est assistant professor à Sciences Po. Ça vous pose une institution française d’utiliser l'anglais. Ruiz voudrait que le débat public se fonde sur des chiffres et il prêche pour une histoire quantitative des fonctionnaires.

Surgit la première difficulté : la définition juridique du fonctionnaire n’ayant jamais été stabilisée, il est bien difficile de fonder des comparaisons entre les époques ni même de se mettre d'accord sur des chiffres globaux d'autant que le massif du fonctionnariat -je n’ai pas dit : fonctionnarisme- a maintenant trois versants : étatique, territorial, hospitalier...

-Cela n'empêche pas nombre les leaders politiques de jeter sur la table d'innombrables  propositions de diminution du nombre des fonctionnaires.

Saint-Just, devant la Convention, disait déjà qu'il fallait renvoyer un grand nombre des sots qui empêchaient la République d'avancer.

Un énarque de la promotion Saint-Just, Jean Choussat, est nommé par... la gauche fin 1981 à  la direction du Budget. Il va contribuer à imposer ce qu'on appelle en novlangue une "approche budget". Il dit d'abord : zéro augmentation puis il dessine à l'horizon l’objectif de 400000 suppressions.

Chiffre repris par Fillon en 2017. Juppé tablait plutôt sur 300000, Macron 120000. Aujourd'hui Pécresse parle de 200000 alors que Ciotti surenchérissait : 250000.

-Dans l'histoire, ceux qui proposaient d'élaguer le plus ont parfois été ceux qui embauchèrent le plus.

Un grand homme d'État de droite de l’entre-deux guerres, André Tardieu, observait que l'augmentation du nombre des fonctionnaires était d'abord un effet de la multiplication des rôles qu'on attribuait à l'État.

Chacune des deux guerres va ainsi amener à un palier inédit.

Pendant la Première Guerre, il faut bien organiser la production industrielle, le ravitaillement et, après la victoire, les régions libérées.

Quant au régime de Pétain, c'est lui qui recrute le plus ! Et pas seulement parce qu'il fait de tous les policiers dispersés dans les municipalités des agents de l'État français.

-Mais chaque fois qu'il y a une augmentation massive, un mouvement inverse tente de revenir en arrière.

« L'approche budget » au début des années 1920, c'est de supprimer quelque 40000 postes mais il en reste toujours 140000 de plus qu'en 1914.

Les communistes eux-mêmes ont parfois été partisans de l’amputation : ce fut le cas dans les années 45-49 pour se débarrasser de ceux qui étaient entrés dans l'administration sous Pétain.

Mais, à regarder les chiffres, le seul résultat auquel on est parvenu après les guerres, c’est le ralentissement de l'augmentation...

Sous Emmanuel Macron, la réduction de la fonction publique d'État a peut-être été de 0,5 ; on voit mal comment les chiffres de la fonction publique hospitalière pourraient baisser tandis que la fonction publique territoriale repart à la hausse.

-Alors, ou y a-t-il du jeu selon l'historien ?

A la frontière mouvante entre titulaires et contractuels. Des fonctions d'autorité  peuvent être exercées maintenant par des contractuels qui sont seulement de passage. Un moment, sur ce sujet, Emmanuel Macron a ainsi repris le vocabulaire qui dénonce l'immobilisme d'un état profond qui s'opposerait à l'esprit de réforme.

Les titulaires s'inscrivent dans un statut. On a oublié que la première mouture en a été rédigée sous Pétain en 41 avec l’intention de surveiller et punir. Les dispositions en vigueur aujourd'hui datent de 46 et 83, elles garantissent l'indépendance des personnels. 

L'hypothèse d'Emilien Ruiz : les diminutions à la hache affichées  dans les campagnes électorales étant inatteignables, le seul objectif réel qui est peut-être visé, c'est la modification profonde voire le renversement du rapport titulaires-contractuels. Et cela, c'est en effet possible.

Ouvrage : Emilien Ruiz Trop de fonctionnaires ? Histoire d'une obsession française (XIXe-XXIe siècle) Fayard

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