

Si les micros de nuit ont tant attiré c'est qu'on a su les rendre sensibles aux inflexions de la voix. C'est aussi parce qu'est survenu le transistor. Nous pouvions ainsi écouter dans nos chambres la voix qui sortait de notre poste et qui nous parlait à nous, personnellement.
-Nous sommes dans un film de Mickael Hers. Années 1980, une femme, depuis ses fenêtres d'une tour du quartier Beaugrenelle, de l'autre côté de la Seine, contemple notre Maison ronde. Elle va y entrer comme standardiste d'une émission très tardive tenue par Vanda- qui n'est pas sans évoquer Macha Béranger. C'est l'occasion pour vous d'évoquer ce que fut la haute époque des directs nocturnes à la radio.
En ce qui concerne France Inter, elle a duré plus d'un demi-siècle. Jusqu'en 2012 précisément, l'émission de Macha s'étant terminée un peu plus tôt, en 2006, au bout de près de trente ans.
Un fort livre, très documenté, vient d'être consacré aux "Micros de nuit" par Marine Beccarelli.
L'histoire de la radio, souligne-t-elle, c'est d'abord une histoire des techniques. Si les micros de nuit ont tant attiré - Macha, aux meilleurs moments, a eu peut-être 500000 auditeurs, c'est qu'on a su les rendre sensibles aux inflexions de la voix. C'est aussi parce qu'est survenu le transistor. Adolescents, nous pouvions ainsi écouter dans nos chambres, sous les draps, la joue contre la voix qui sortait de notre poste et qui nous parlait à nous, personnellement. Il a fallu aussi la généralisation de l'auto-radio et du téléphone qui a permis, par exemple, de faire "Route de nuit" sur Inter puis sur RTL, "Les routiers sont sympas". Le premier film à faire apparaître Macha était signé de Claude Ventura, il montrait un gardien de parking qui d'une main, lui téléphonait "Allo, Macha ?" ; de l'autre, il tendait un ticket à une voiture qui sortait, le conducteur montait le son de l'autoradio, c'était... "Allo Macha".
-"Passagers de la nuit", c'est au moins le troisième film où figure Macha Béranger.
Avant d'être interprétée ici par Emmanuelle Béart, elle l'a été par exemple par Catherine Deneuve.
Le livre de Marine Beccarelli rappelle pourtant qu'elle n'a pas été la première à tenir le rôle de grande oreille attentive. Le pionnier, c'est l'écrivain Gonzague Saint-Bris : "Ligne ouverte" sur Europe 1, dès 1975, jusqu'en 1980. Une Gnossienne de Satie servait de générique puis Saint-Bris, plus neutre, moins intervenant que Macha, laissait entendre une voix anonyme. Il reste de sa Ligne ouverte beaucoup moins d'archives que de Macha -Europe est si peu soucieuse de son passé qu'on se demande si elle a un avenir mais la mémoire de Saint-Bris était pleine de ressources. A l'écouter, il y eut parmi ses intervenants : une caissière de cinéma porno, une jeune fille heureuse d'avoir fait l'amour pour la première fois et même un cambrioleur qui avait interrompu son cambriolage dans un appartement tranquille.
-L'avantage des émissions nocturnes, c'est qu'elles permettaient la confidence parce qu'elles se déroulaient sans témoins.
Détrompez-vous. Marine Beccarelli signale que nombre d'elles accueillirent du public. A commencer par Macha. Les règles de sécurité n'étaient pas celles d'aujourd'hui. Le Pop Club de José Artur se tenait dans le fameux Bar Noir de la Maison ronde qu'on pouvait rejoindre à peu près comme on voulait. Être accompagné d'une bouteille d'alcool facilitait le passage. Une nuit, un membre du SAC, une officine d'extrême droite, entra même avec un poignard et un pistolet, menaçant de tuer tout le monde. Sur RTL, en 1974, la prise d'otages, par un auditeur, de Max Meynier l'animateur des "Routiers sont sympas", fut autrement spectaculaire. Elle dura de 23 heures à 3 heures, la direction d'antenne n'ayant d'autre choix que de maintenir le direct.
-Cette nuit-là, le suspense tint l'auditeur en éveil. La règle était plutôt de le laisser aller la rêverie...
"Oui, pas la peine de crier"... C'était le titre d'une émission de Marie Richeux sur France Culture. Jean Couturier produisit, sur France Culture également, "Ecriture de nuit". Pas de présentation au début ni d'ailleurs de fin... Cela se tenait au bord du sommeil ou aussi bien au milieu, pendant quelques instants de réveil, dans l'incertain.
Le philosophe Bachelard a très bien parlé de la radio comme rêverie.
Mais José Artur soutenait aussi que le jour, on entend seulement alors que la nuit, on peut mieux écouter. Dans l'obscurité, l'oreille est comme l'œil perçant d'un chat. Et en effet les choses de la nuit - l'émission de Jean-Charles Aschero- méritent d'être vues car elles avancent souvent nues.
-Mais voilà, après l'âge d'or, les dirigeants des radios ont dit : "Mais ne te promènes pas toute nue"...
Ce n'est pas la sensualité, l'érotisation progressive des programmes de nuit qui leur ont nui. Mais la concurrence de la télévision nocturne, du magnétoscope, aujourd'hui des plateformes de films et de séries. Et les mille et une ressources du podcast. La pensée calculante a préféré la stratégie des rediffusions nocturnes. Il n'y a plus de bureau des rêves dans nos couloirs. Le préfacier de Marine Beccarelli, Pascal Ory, écrit : "La dernière liberté des auditeurs a été d'aller chercher ailleurs".
Ouvrage : Marine Beccarelli Micros nocturnes. Histoire de la radio de nuit en France 1945-2012 Presses Universitaires de Rennes
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