La CGT entre opposition et négociation

France Inter
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La journée du 19 janvier a été un succès pour les syndicats. Mais ensuite, ils vont jouer gros. Comment, pour la CGT, éviter la rupture du front syndical et maintenir, aux côtés d'un syndicalisme de négociation, son rôle d'opposante numéro un ? Qui est sa marque de fabrique historique.

Et ce alors que le gouvernement et les dirigeants des grandes entreprises parient sur l'affaiblissement historique du syndicalisme.

En réalité, dés le départ, le syndicalisme a été faible en France. La CGT est fondée en 1895. Jusqu'à la Première Guerre, elle est conduite par de fortes personnalités, des durs qui pensent que la transformation sociale passe par l 'exercice syndical, conçu d'abord comme une transformation d'eux-mêmes. De plus, la répression dont ils sont constamment victimes les fait présenter comme des purs. Mais les durs et les purs sont nécessairement peu nombreux.

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En Allemagne et pareillement dans les pays scandinaves, s'installe au contraire un syndicalisme de masse qui entend en même temps revendiquer et gérer des institutions de soutien, d'assistance, de retraites.

Le syndicalisme allemand s'insère dans un vaste système social-démocrate, en association avec un grand parti politique. En France, la Charte d'Amiens de 1906 maintient une cloison entre le travail syndical et le politique. Le syndicalisme se suffit à lui-même. C'est lui le grand opérateur social. A la limite, les partis ne devraient pas avoir le droit de s'occuper du travail. Est-ce qu'ils travaillent ?

Au lendemain de la Première Guerre, ce syndicalisme révolutionnaire - on dit aussi : d'action directe - s'efface

Mais une nouvelle utopie a surgi à l'Est avec la révolution russe. Une partie de la CGT va créer une autre CGT, la CGTU, la CGT unitaire: quand on se dit unitaire, c'est généralement qu'on est dissident. Cette CGTU, à l'inverse de la Charte d'Amiens, va fonctionner comme une courroie de transmission du nouveau Parti Communiste.

En 1934, à la suite d'un changement de cap à Moscou et dans la perspective de la constitution d'un Front populaire, CGTU et CGT se réuniront de nouveau mais le rapprochement sera bref.

Au lendemain de la Seconde Guerre et en dépit de l'expérience partagée de la Résistance, les deux tendances seront de nouveau en face à face. Ceux qui ne veulent pas de la tutelle du Parti communiste fonderont FO qui revendique toujours l'appellation de CGT FO. Seconde Guerre seconde scission.

Le mantra de l'indépendance du syndicalisme et du politique, continue d'être répété par habitude mais dans la réalité, on disait de la CGT qu'elle était la fille ainée du Parti communiste.

Ce fut l'époque où, fortement liée au PC où elle fut la plus puissante, comme si chaque structure démultipliait l'autre.. Les quatre secrétaires généraux de l'après-guerre étaient des membres éminents de la direction du Parti : Benoit Frachon, Georges Séguy, Henri Krasucki, Louis Viannet. On a d'ailleurs interprété l'élection de ces deux derniers comme des reprises en main par le Parti. Dans les faits, les secrétaires généraux cherchaient tous à se créer une marge de manœuvre pour échapper aux décisions étouffantes du Parti. Ce n'était pas commode d'être un syndicaliste en 19​80-1981 et d'être invité à approuver la répression des militants de Solidarité par le Parti communiste polonais.

Ce décalage plus ou moins habilement maintenu explique pour une part que le syndicat n'ait connu le déclin qu'après le Parti.

Et le déclin de la CGT, n'est pas devenu un effondrement.

J'allais dire que CGT est une habituée des montagnes russes. Qu'on observe l'évolution, souvent en dents de scie, de ses effectifs. Début 1920, 1million 6, début 21, après l'échec des grèves de l'année précédente, 700000. Début 1937, 4 millions dans l'élan du Front populaire, 2 millions 5 seulement en 1938. Etc...

Aujourd'hui, Philippe Martinez dont il ne sera pas facile de faire le bilan affiche 600000 adhérents. Bernard Thibault à son départ en 2015 en comptait 700000.

Le dérapage est contrôlé dans une conjoncture très défavorable: désindustrialisation, multiplication des sous-traitances, déstructuration des vieux fiefs comme EDF ou La Poste.

Oui mais la CGT est concurrencée par d'autres centrales.

La CFDT a une origine chrétienne ; la CFTC Confédération générale des travailleurs chrétiens constituée en 1919. C'est ainsi même si elle a du mal à le reconnaitre. Quand je disais à son leader Edmond Maire qui relevait de la même paroisse que moi, que je le voyais autrefois à la messe du dimanche, il faisait semblant de ne pas m'entendre. De cette source la CFDT garde une attention à l'amélioration de la personne qui lui permet de mêler à son héritage chrétien celui du syndicalisme révolutionnaire d'action directe. Déconfessionnalisée dans les années 60, tour à tour gauchisante puis éprise de responsabilité, la CFDT est un partenaire inévitable pour la CGT.

Au moment des discussions de Grenelle en 1968, elle totalisait encore la moitié des syndiqués. Aujourd'hui la CFDT lui a souvent ravi la première place et les autres centrales gagnent en représentativité.

Mais un souci commun les habite toutes et notamment dans les jours qui viennent; ne pas se laisser déborder par les collectifs instantanés. Cela fait une génération au moins qu'ils sont réapparus en de façon visible. Ils agacent les grands syndicats qui, comme les adultes vieillissants, n'aiment pas nécessairement qu'on leur rappelle leurs premiers vagissements.