

En 2000, le Congrès mondial qui réunissait les chercheurs du sida se tenait à Durban. A l’époque, 3 millions de personnes mouraient chaque année du sida, 95 pour cent des cas concernaient les pays du Sud et l'Afrique du Sud était particulièrement touchée.
-Après que l'Afrique du Sud a annoncé la découverte sur son territoire du variant omicron, beaucoup d'autres pays l'ont inscrite sur liste rouge. Le gouvernement sud-africain dénonce des "réactions injustifiées." En 2021, le pays est consigné après avoir joué franc jeu. En 2000, à l’époque du sida, il était accusé d'aveuglement.
Cette année-là, le Congrès mondial qui réunissait les chercheurs du sida se tenait à Durban. A l’époque, 3 millions de personnes mouraient chaque année du sida, 95 pour cent des cas concernaient les pays du Sud, l'Afrique du Sud était particulièrement touchée : peut-être 10, 20, 25 pour cent de la population était séropositive. Comment savoir précisément ? Quel intérêt y avait-il a se faire diagnostiquer puisqu'on n'avait pas de traitement disponible ? Une trithérapie comme en Occident aurait coûté 3000 euros par an et par personne !
Le président du pays, Thabo Mbeki, avait choisi, faute de mieux et contre toute évidence, de mettre en cause le lien entre le virus et la maladie. Le continent souffre de tant de maux, disait-il, pourquoi tout mettre sur le dos du VIH ? Mbeki retardait l'entrée des traitements tandis que sa ministre de la Santé recommandait la betterave, l'huile d'olive et l'ail.
Mais les chercheurs du Congrès de Durban guettaient le discours d'ouverture du président. Il se fit prudent puis, son prédécesseur Nelson Mandela lui mettant l'épée dans les reins, il évolua. En 2003, les antiviraux pénètrent enfin en Afrique du Sud. Encore quelques années et l’ONUSida, l’organisme spécialisé des Nations Unies en la matière, la proclamera leader dans la lutte contre le sida.
Sans doute le pays pense-t-il s'être comporté aussi bien aujourd'hui en déclarant de suite le nouveau variant apparu sur son sol alors qu'il ne compte que 3000 nouvelles contaminations par jour, dix fois moins que la France. Bonne élève récemment promue au tableau d’honneur, l'Afrique du Sud écope néanmoins d'un billet de consigne...
-Une illustration de plus du décalage, en temps de pandémie, entre pays riches et pays en développement ?
En tout cas, ceux-ci vivent une situation d'injustice. Le mécanisme international COVAX dont on leur avait promis qu’il redistribuerait les vaccins n'a pas fonctionné comme prévu. Il devait leur procurer un pourcentage des doses chaque fois que des achats multilatéraux avaient lieu mais les pays riches ont eu tendance à se fournir en bilatéral.
A l'époque du sida il n’y avait pas de vaccin, il n’y en a toujours pas. Mais il y avait les trithérapies. Or les pays pauvres n'ont pas pu davantage compter sur les riches pour leur en fournir.
Pourtant, aujourd'hui, 27 des 37 millions de personnes vivant avec le Sida peuvent être soignées. Une trithérapie ne coûte plus que 100 euros. De 3 millions de morts annuels à l'époque de Durban, on est tombé à nettement moins d’un million.
Que s'est-il passé ? Eh bien, dès avant Durban, des responsables politiques, notamment français, des autorités médicales ont répété que ce qui se passait était éthiquement insoutenable. Et des associations de malades devenues experts de leur maladie ont commencé à talonner les firmes pharmaceutiques. « Et si vous vendiez moins cher vos produits ? Vous étendriez vos ventes ». Les associations se sont rapidement aperçu que les grands labos n'avaient que faire de l' argument : leur modèle économique reposait au contraire sur la vente de petits volumes à des prix élevés dans sur le marché des pays riches.
-Alors la question de la propriété intellectuelle est venue sur le tapis.
A l'époque de Durban, l'Organisation mondiale du Commerce est encore jeune elle est en train de fixer les normes de la propriété intellectuelle fondées sur les brevets que distribuent les états. Lorsqu'une firme détient un brevet sur un médicament, elle est en mesure d'en demander un prix élevé assez longtemps.
Comment desserrer le nœud coulant ? A l’époque de Durban, l'OMC a laissé un peu de temps à certains pays en développement avant d’imposer complètement ses normes. Des entreprises nationales au Brésil ou en Thaïlande, des entreprises privées en Inde se sont mises à fabriquer à toute vitesse des combinaisons de première ligne. La concurrence à laquelle se livrèrent les Indiens entre eux a fait le reste. Les prix des trithérapies génériques ont plongé.
Il ne s’agit pas d’assimiler les deux pandémies, covid et sida. Tout de même, ceux qui militent aujourd'hui pour la multiplication des vaccins par l'abaissement de leurs prix essuient les mêmes reproches que naguère les associations anti sida : vous êtes utopiques et-accusation suprême- radicaux ! Ce n'est pas facile d'ouvrir la boite noire de l'industrie pharmaceutique.
Ouvrage : VIH/sida : l'épidémie n'est pas finie! Anamosa/Mucem - catalogue de l'exposition au Mucem à Marseille du mercredi 15 décembre 2021 au lundi 2 mai 2022
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