L'Afghanistan soviétique

Soldats soviétiques quittant l'Afghanistan en mai 1988
Soldats soviétiques quittant l'Afghanistan en mai 1988 ©Getty - Robert Nickelsberg
Soldats soviétiques quittant l'Afghanistan en mai 1988 ©Getty - Robert Nickelsberg
Soldats soviétiques quittant l'Afghanistan en mai 1988 ©Getty - Robert Nickelsberg
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En 1973, Daoud renverse son cousin le roi Zaher Shah. En 1978, le puissant voisin soviétique juge qu'il se rapproche trop de l'Occident. L'année 1979 est décisive. Les communistes ont pris seuls le pouvoir mais ils se déchirent. En décembre, l'armée rouge pénètre dans le pays.

Les Américains quittent l'Afghanistan. Les Soviétiques y avaient pris l'ascendant avant de l'occuper dans les années 1970. La guerre est venue de l'extérieur dans un pays dont il faut bien dire que c'était à peine un état.

Un carrefour plutôt. Le recensement de 1971, effectué à partir d'un sondage au 1/20ème, estimait la population à 17 millions d'habitants. Elle était composée de groupes de taille très variable. Il y avait peut-être 10 % d'ouzbeks qui parlaient turc, autant d'Hazaras et bien davantage de tadjiks qui parlaient persan mais l'ethnie dominante était les Pachtouns. La dynastie royale qui en procédait avait le souci de ne pas transformer l'Afghanistan en Pachtounistan. Les règles de la communauté dominante pénétraient cependant profondément la société. Les hommes les plus âgés, les barbes blanches, y veillaient ainsi que les assemblées qui se réunissaient régulièrement pour faire respecter le code de l'honneur. En face, la Constitution élaborée par le roi Zaher Shah pesait de peu.

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À l'époque, j'étais destinataire comme d'autres des lettres qu'envoyait de Kaboul le dominicain Serge de Beaurecueil. Spécialiste de la mystique musulmane, il était peu à peu devenu le simple infirmier du lycée français, Esteqlal. Il honorait son nom, Beaurecueil, en recevant dans sa maison des enfants handicapés que la guerre rendrait de plus en plus nombreux.

Ma seule religion est d'aider ces gosses

Il se gardait bien de juger mais on voyait qu'il était hérissé par les coutumes imposées aux femmes. Je retrouve dans son courrier le cas d'une fillette de 12 ans qui se retrouve mariée à l'assassin de son frère afin de rétablir la paix entre deux familles. Mais Serge, étranger à l'Afghanistan, ne voulait pas indiquer le chemin que devaient prendre les réformes dans un pays si rural où la capitale, 500 000 habitants seulement à l'époque, ne représentait qu'une tête d'épingle.

Les enfants du lycée et lui se retrouvèrent bientôt emportés dans une cascade de révolutions. En 1973, Daoud renverse son cousin le roi, le gouvernement qu'il compose compte déjà une moitié de communistes. En 1978, le puissant voisin soviétique juge qu'il se rapproche trop de l'Occident. L'année 1979 est décisive. Les communistes ont pris seuls le pouvoir mais ils se déchirent. En décembre, l'armée rouge pénètre dans le pays. "Pour mettre fin au féodalisme et au droit de cuissage", déclare le leader du PCF d'alors, Georges Marchais.

Avant même l'intervention directe, le pouvoir communiste était surimposé

Serge de Beaurecueil note l'erreur funeste qui fut de substituer au drapeau afghan le drapeau rouge. Il vit à Kaboul mais même dans la capitale, les étudiants et les commerçants du Bazar se mettent en grève contre les Soviétiques, au diapason des villageois qui, dans le Nord puis dans le Sud, sont entrés très vite en rébellion. D'abord avec des bâtons et de vieux tromblons. Mais l’armée supplétive du gouvernement afghan se dépeuple aussitôt par la désertion de ses membres plus que par les combats. Restent les moudjahidines, eux, gagnent tout en mourant : ils sont devenus des martyrs et ont permis la récupération d'armes modernes.

Serge constate en revanche la meilleure tenue des milices pro communistes. Les femmes y sont assez nombreuses. Une mesure du nouveau pouvoir provoque une contradiction significative. Le prix à verser pour se marier avec une femme est abaissé à presque rien. Les femmes miliciennes s'en trouvent confirmées dans leur détermination. Mais d'autres disent : la dot à verser pouvait être en partie conservée par la femme, elle lui constituait une assurance, un douaire et maintenant que la femme est quasi gratuite, elle ne pèse pas plus que deux kilos de viande alors qu'elle valait une vache ou deux : "tout le monde peut y boire comme dans une rivière".

Ce que constate Serge, en tout cas, c'est qu'avancer à marche forcée, dogmatiquement, c'est provoquer en retour une résistance de plus en plus têtue et de plus en plus pieuse.

Les Américains ont voulu maintenir aussi longtemps que possible leur présence

Oui mais au début de 1979, les communistes ont laissé assassiner l’ambassadeur américain, à peu près au moment où Khomeiny prend le pouvoir en Iran voisin. Khomeiny peut d'ailleurs être populaire chez les Afghans à ce moment. En tout cas, comme à Téhéran, les Etats-Unis doivent lâcher prise. Les Soviétiques restent seuls.

Les quelques Français qui sont encore là, comme Serge de Beaurecueil, doivent se justifier sans cesse de ne pas être des Russes. Serge note qu'ils tentent bien d'arborer une cocarde tricolore, ce qui ne n'est remarqué que par les plus instruits des Afghans qui font alors remarquer que le président Giscard d'Estaing veut croire que l'occupation ne va pas durer et que le journal "L'Humanité" raconte que tout est calme à Kaboul.

Dans les airs, les bombardements se suivent. Et dans les vallées, les tanks foncent, ravageant tout. Ils permettent la relève des garnisons menacées mais ils ne peuvent rester.

En 1983, Serge de Beaurecueil sera expulsé : sa maison d'enfants blessés et orphelins, de plus en plus pleine, est désignée comme un réseau d'espionnage.

Dans le pays, les moudjahidines disent : 

Nous combattrons mille ans s'il le faut

Ils ne croient pas si bien dire.