Tixier-Vignancour, premier candidat d'extrême-droite à une présidentielle

Jean-Louis Tixier-Vignancour et Jean-Marie Le Pen en meeting à la Mutualité à Paris le 19 novembre 1964
Jean-Louis Tixier-Vignancour et Jean-Marie Le Pen en meeting à la Mutualité à Paris le 19 novembre 1964 ©Getty - Keystone-France
Jean-Louis Tixier-Vignancour et Jean-Marie Le Pen en meeting à la Mutualité à Paris le 19 novembre 1964 ©Getty - Keystone-France
Jean-Louis Tixier-Vignancour et Jean-Marie Le Pen en meeting à la Mutualité à Paris le 19 novembre 1964 ©Getty - Keystone-France
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En 1964, Jean-Louis Tixier-Vignancour se déclare candidat à la présidentielle avec 18 mois d'avance. Et passe l'été sous un chapiteau que lui a aménagé son directeur de campagne, Jean-Marie Le Pen. Il fait les plages avec des succès incontestables...

-La première élection présidentielle au suffrage universel se tient en décembre 1965. Un homme la prend très au sérieux qui crée un comité d'initiative pour départager, dirait-on aujourd'hui, les candidatures nationales. C'est Jean-Marie Le Pen qui contribue à faire émerger dès 1964 le nom de Jean-Louis Tixier-Vignancour.

Dit TV. Vous aviez de suite un bel acronyme. Vous ajoutiez en haut du V une flèche dirigée vers la droite. Et c'était un logo qu'on pouvait inscrire sur les murs. Ces choses-là ont de l'importance. Pensez après les lettres T et V, à la lettre Z.

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Tixier, 57 ans, était un avocat alors au sommet de sa carrière d'avocat. Sa voix de bronze était redoutée. La SERP, la société d'éditions phonographiques de Le Pen avait édité avec succès ses plaidoiries.

Pour l'extrême droite il disposait des herbes de la Saint-Jean.

-Les herbes de la Saint-Jean, encore une de vos formules magiques.

Oui, le jour de La Saint-Jean, poussent certaines herbes disposant d'une grande puissance. Et Tixier n'avait cessé de les cueillir dans tous les coins du jardin de l'extrême droite.

Jeune homme, il milite à l'Action française et le 6 février 34, lors de la tentative factieuse de renversement de la République, il se bat jusqu'au bout dans la rue.

En 1936, élu député d'Orthez, il franchit les Pyrénées pour aller faire hommage au général putschiste Franco. Et à Paris, il manifeste sa sympathie à Jacques Doriot, leader du parti proto-fasciste le PPF.

En 1940, le 5 juillet, à Vichy, il joue un rôle dans la réunion du Parlement qui aboutit à conférer les pleins pouvoirs à Pétain. Le journaliste Maurice Martin du Gard le décrit le torse en avant, plein de sa pétulance ordinaire qu'enfièvre le souvenir de ses exploits militaires pendant la campagne perdue. A la tribune il demande la mise en accusation des dirigeants de la République défunte, Paul Reynaud le premier. Et dans les couloirs, je cite Martin du Gard, il mange du juif et guette pour l'injurier une fois encore Léon Blum.

Maurras, Doriot, Pétain : voilà les herbes de la Saint-Jean dont dispose Tixier. Excusez du peu.

-Il appartient au premier cercle à Vichy mais seulement pendant quelques mois.

Secrétaire général à l'information, on lui doit un nouveau statut pour le cinéma et l'organisation d'une nouvelle censure à la radio.

Que s'est-il passé pour qu'il soit écarté ? On a parlé d'incartades personnelles. J'ai lu qu'il avait fait courir des bruits sur la maréchale Pétain. Or celle-ci constituait un des points faibles du chef de l'état. Epousée sur le tard, divorcée, ses photographies étaient généralement interdites de reproduction.

Que s'est-il passé exactement ? En tout cas, sa mise à l'écart sauva Tixier d'une condamnation sévère à la Libération. Il fut seulement déclaré inéligible. Il poussa ensuite ses feux au barreau puis quand il lui fut possible de se représenter, il redevint député d'Orthez en 1956. Il avait candidaté au nom d'un certain... Rassemblement national qu'il avait fondé en 54. Le retour du général fut fatal à sa carrière parlementaire, il ne retrouva pas son siège en 58.

-La guerre d'Algérie le remet au premier plan.

Il est l'avocat numéro un des chefs de l'Algérie française. Il défend les auteurs d'attentats devant les cours d'assises et devant une cour militaire, le chef des auteurs d'attentats, le patron de l'OAS. Françoise Giroud écrit dans L'Express : « En fait ce n'est pas Salan qui a choisi Tixier pour sa défense mais Tixier qui a choisi Salan pour accuser de Gaulle. » Non seulement il sauve la tête de Salan mais il écornifle la statue de De Gaulle.

On peut noter qu'il a réussi à convaincre Mitterrand de venir témoigner pour Salan. Mitterrand s'est assis sur le banc au tribunal au milieu de toutes les figures de l'extrême droite sans en être gène le moins  du monde, note Le Pen.

-Et c'est la candidature à la présidentielle.

Il se déclare 18 mois à l'avance. Et passe l'été 65 sous un chapiteau que lui a aménagé son directeur de campagne, Jean-Marie Le Pen. Il fait les plages avec des succès divers- incontestables là où habitent les rapatriés d'Algérie.

Mais si sa voix porte en plein air, elle ne passe pas sur le petit écran. Surtout ses thématiques s'entrecroisent sans bien s'emboiter. Ainsi sa défense acharnée de la liberté d'entreprise si elle satisfait les milieux d'affaires qui ont toujours porté intérêt à l'extrême droite ne convient pas nécessairement à la partie déclassée de son électorat.

Il ne fera que 5,2% des voix. Et pour qui se désistera-t-il au deuxième tour ? Pour François Mitterrand qui n'y verra pas d'inconvénient : "Je ne trie pas les bulletins de vote", dira le candidat de la gauche.

En fait Tixier n'aura plus ensuite pour objectif que l'amnistie des crimes liés à l'Algérie française. Mitterrand avait déposé un projet de loi en ce sens dès 63. C'était donc un allié possible. Mais en 68, après que les gaullistes ont senti le vent du boulet en mai et pris un tournant réactionnaire, en juin, Tixier juge opportun de les soutenir. Et l'amnistie est obtenue en juillet 68. Il restera à la parfaire, ce sera le rôle de Mitterrand après qu'il aura été élu président.

Cette mission de Tixier aura été accomplie. Les herbes de la Saint-Jean pourront repousser.

-Mais sa carrière politique est tout de même un échec.

Il avait pourtant un talent, et il disposait d'un héritage et le thème de l'Algérie française et, au-delà, du déclin de la France impériale, était un thème fédérateur.

Mais ce qui fait le succès de l'extrême droite n'est pas nécessairement de son fait. Il lui  faut pour prospérer, une crise sociale et une crise des institutions. De Gaulle n'avait pas laissé cet espace à Tixier.