

Les premiers trains de nuit sont beaucoup plus anciens que le fameux Orient-Express et ne se soucient ni de l'agrément ni de l'ornement. Ils sont nombreux dès le milieu du XIXème. On n'allait pas laisser inutilisé le rail la nuit...
-La consigne donnée à la SNCF vient du sommet de l'Etat. Alors que son ancien président, Guillaume Pépy, assurait que les trains de nuit étaient complètement obsolètes, les voilà relancés depuis l'Elysée. Le Premier ministre a été du voyage inaugural du nouveau Paris-Nice qui risque fort d'être complet si, comptant l'emprunter cet été, vous allez seulement maintenant sur oui.sncf.
Il vous restera à écouter la musique de Milhaud qui accompagnait "Le train bleu", le livret du ballet écrit par Cocteau. Ou à lire Valéry Larbaud.
"Oh train de luxe ! Et l'angoissante musique
Qui bruit le long de tes couloirs de cuir doré
Tandis que derrière les portes laquées aux loquets de cuivre lourd
Dorment les millionnaires"
De toute façon, une fois que vous aurez arraché une place, ne vous attendez pas à retrouver l'atmosphère que goutait tant Coco Chanel quand elle allait rejoindre sa villa de Roquebrune.
C'est bien pour cela que Jean Castex a souhaité emprunter le nouvel avatar du Train bleu, c'est parce que, je cite, il est, lui, au contraire, démocratique, écologique.
Quant à l'égalité des territoires mise aussi en avant par le gouvernement, attendons le Paris-Tarbes que la SCNF continue d'annoncer pour la fin 2021 et la dizaine d'autres liaisons nocturnes envisagées d'ici 2030. Une des difficultés à surmonter est la reconstruction de wagons modernisés. Il ne suffira pas d'y installer des circuits wifi.
Pour assouvir vos éventuels désirs de luxe, il faudra attendre que les opérateurs privés reprennent l'initiative. L'italien Thello avait créé Il y a dix ans un Paris-Venise qui vous mettait au petit matin à la gare Santa Lucia. Il a cessé de fonctionner avec le premier confinement. La société fait savoir qu'il ne reprendra pas ; elle fait cependant miroiter pour 2024 une éventuelle reprise sous forme d'hôtel cinq étoiles sur rail. Acceptons-en l'augure.
-L'entretien de la nostalgie, ce n'est jamais la bonne méthode pour faire de l'histoire. Même quand il s'agit des trains de nuit.
En effet. Notre imagination s'est fixée sur l'Orient-Express et ses semblables. Ils n'occupent que peu de segments et assez brefs dans l'histoire du rail. L'Orient Express ne commence qu'en 1883, est interrompu par les deux guerres, dévalué par la guerre froide, il n'était plus que l'ombre de lui-même quand Athènes et Istanbul renoncent à leur rôle de terminus en 1977.
Les premiers trains de nuit sont beaucoup plus anciens et ne se soucient ni de l'agrément ni de l'ornement. Ils sont nombreux dès le milieu du XIXème. Il n'y a d'ailleurs pas lieu de s'en étonner : l'élément déterminant dans le train, figurez-vous, c'est le chemin de fer : on n'allait pas laisser inutilisé le rail la nuit. Il fallait bien évidemment qu'il continue de transporter à toute heure des clients et sinon des clients, des marchandises, du courrier, des soldats aussi, permissionnaires ou non.
Un ouvrage de Georges Ribeill vient de paraitre consacré aux trains de nuit, aux éditions bien nommées "La vie du rail". Le premier chapitre décrit longuement l'équipement recommandé aux voyageurs nocturnes : appui-tête, accoudoirs, repose bras et autres prothèses.
Ce qui est vraiment nouveau dans l'histoire du train c'est la découverte de la possibilité de la position couchée ! Il a fallu des décennies pour l’explorer, avec des étapes transitoires, coupés-lits, fauteuils-lits et enfin couchette à la fin du XIXème et seulement dans quelques voitures privilégiées de première classe. Encore un moment et Pullman et la Compagnie des wagons-lits montreront tout leur savoir-faire et le feront savoir.
Mais à y bien réfléchir, la position couchée dans un train, n'est-ce pas étrange ? En 1888, le romancier Huysmans se rend à Cologne avec la Compagnie des wagons-lits. Il décrit la chorégraphie compliquée à laquelle doit se livrer le contrôleur pour aménager les couchettes et une fois installé, il ne parvient pas à trouver le sommeil. A chaque aiguillage, il rebondit, s'agrippe d'un bras au matelas et abrite de l'autre son crâne qui frappe à la cloison ; quand il se casse en chien de fusil, ses genoux frappent ses talons devenus fous : "Ah que je souhaite, conclut-il, ne plus jamais subit l'indigent confort et le gala de camelote du wagon-lit."
-La position couchée, si imprévisible qu'elle soit, nous redevient possible dans certains trains. Mais d'autres nous demeurent interdites.
Avez-vous remarqué qu'on se tient beaucoup moins souvent debout dans les trains que lorsqu' il y avait un couloir latéral sur lequel donnaient les compartiments fermés ? On s'y installait longuement pour causer et fumer aussi.
Et puis une position nous est en effet interdite : celle qui consistait à se pencher à travers la fenêtre.
Freud et sa tribu contraints de quitter Vienne par les nazis et arrivant à Paris, saluent leurs admirateurs et reçoivent des bouquets de fleurs par la fenêtre. Cliché fameux.
Que dirait Freud, d'ailleurs, d'une disposition à laquelle songe la SNCF : des compartiments spéciaux seraient réservés aux femmes ! Le freudisme a partie liée avec le train. Le maître de Vienne recommandait de parler au psychanalyste comme si on lui racontait le paysage depuis la fenêtre du compartiment. Quant au train de nuit, que de rêves il a suscités : "Baisse un peu l'abat-jour, veux-tu et laissons-nous aller à la glissade si douce du wagon..."
Mais la nostalgie est mauvaise conseillère.
Ouvrage : Georges Ribeill et Michel Cozic Les trains de nuit La Vie du Rail
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