

Le Président de la République, répète-t-on, est isolé dans son palais. En même temps, il dispose de quantité de moyens de mesurer l'opinion, à commencer par le service qui gère son courrier. Ce courrier est-ce une lettre de requête ou bien l'expression d’une opinion ?
-Le Président, répète-t-on, est isolé dans son palais. En même temps, il dispose de quantité de moyens de mesurer l'opinion, à commencer par le service qui gère son courrier.
François Hollande aurait reçu 800.000 lettres au long de son quinquennat. Emmanuel Macron, la seule année 2020, 300.000 ! Quand on parle de la désaffection des Français pour leurs représentants, il faut garder en tête ces chiffres, en nette augmentation.
Sachez que si votre envoi au Président pèse moins de vingt grammes, vous bénéficiez de l'affranchissement gratuit. Vous pouvez aussi utiliser le courriel.
Évitez seulement la carte postale musicale, elle déclenche des alertes radar au Palais de l'Alma quai Branly, une annexe de l’Elysée où est traité le courrier depuis les années 1970.
On se demande pourquoi à l'époque Sarkozy-Guéant-Buisson, la Présidence commandait tant de sondages alors que parvenait déjà cette manne d'information non filtrée. Fort judicieusement, le service a été depuis réorganisé autour d'un bureau d'analyse. Emmanuel Macron l'a beaucoup utilisé. François Hollande avait même permis à deux chercheurs d'y plonger. Julien Fretel et Michel Offerlé viennent ainsi de publier "Ecrire au président", un livre qui, non content d'analyser le courrier d'aujourd'hui, tente des parallèles avec ce qu'il est possible d'entrevoir du service à l'époque de François Mitterrand ou de Nicolas Sarkozy.
-Un des intérêts de ces courriers, c'est que les correspondants adossent souvent leur courrier sur leur expérience personnelle.
On dit qui on est, on s’expose. Avec ses qualités et ses faiblesses. L'instrument de mesure, c'est assez généralement la classe moyenne. Si on dit qu'on y appartient, c'est pour ajouter : mais je suis trop pauvre pour être à l'aise, trop riche pour être aidé. La représentation de la société est d'ailleurs plus triangulaire que binaire : le jugement sur les riches, comme attendu, est sévère mais aussi celui sur les plus pauvres : il y a partout dans le pays des "cassos" qui sont désignés comme autant de 93, jusque dans les plus petits villages.
Une belle lettre qui ne reprenait aucunement ce vocabulaire avait attiré l'attention des agents du service en 2016. Rédigée par une urgentiste de la Timone à Marseille, elle voulait seulement raconter la vie d’un service, un village dans un couloir d’hôpital ou une équipe de soignants d’opinions hétéroclites réussissait encore à l'époque à rire d’elle-même. Cette jeune médecin avait simplement pensé qu'un président avait côtoyé assez de gens pour comprendre...
-Oui mais les courriers prêtent souvent au président une puissance surhumaine.
Tel lui demande d'intervenir auprès du Dalaï-lama pour éloigner les bouddhistes qui sont arrivés dans son quartier et l'empêchent avoir des relations sexuelles. Comprenne qui pourra. Tel autre attend que l’Élysée achète l'appartement au-dessus afin de ne plus entendre de voisin. Sans cesse, les agents du service qui rédigent les réponses doivent préciser que le chef de l'État ne peut modifier les décisions de justice, étant par nature le garant de l'indépendance des magistrats.
En fait, on aimerait pouvoir distinguer les lettres de requêtes -qui seraient remises aux services compétents- des lettres qui expriment des opinions et qui, combinées à d’autres sources, fourniraient à l'Élysée des données, mieux : des véritables datas.
Oui mais le réel est insaisissable. Voici une lettre par exemple : "Monsieur le président, je vous écris ce message pour vous dire que je suis très déçue par ce que je vois et j'entends. Toutes ces fraudes fiscales, tous ces VIP qui doivent de l'argent mais ont des super avocats. Moi, j'ai 52 ans. Mère de deux enfants, je suis en surendettement. Pouvez-vous effacer ma dette ? Je vous écris ce message sans espoir mais cela m'a fait du bien de l’écrire. Cordialement".
Ce courrier est-ce une lettre de requête ou bien l'expression d’une opinion ?
Les courriers de requête sont aussi des signaux faibles de l'opinion ou plutôt des signaux émanant des voix faibles dans l'opinion.
-La lettre que vous citez se termine par « Cordialement ». Il faut bien constater que formules respectueuses ont tendance à reculer quand on s'adresse au chef de l’état.
On commence souvent à la Boris Vian :
"Je vous écris une lettre que vous lirez peut-être si vous avez le temps". Et il arrive qu'on finisse par un "Je vous salue modérément."
Quand ce n'est pas :"Sale flanc, gros enculé, souviens-toi de Louis XVI".
Mais j'invite à ne pas tirer de quelques injures des conclusions hâtives.
Je voudrais simplement rappeler qu'en 1962, il y a soixante ans, au moment du dénouement de la guerre d'Algérie, le général de Gaulle recevait beaucoup de messages du même tonneau et qu'en plus, ses ennemis mettaient même le feu à la poudre.
Ouvrage : Julien Fretel et Michel Offerlé Écrire au président. Enquête sur un guichet de l'Élysée Editions de la Découverte
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