Clairvaux et son devenir

La prison de Clairvaux vue depuis un mirador en 1979
La prison de Clairvaux vue depuis un mirador en 1979 ©Getty - Jacques Pavlovsky
La prison de Clairvaux vue depuis un mirador en 1979 ©Getty - Jacques Pavlovsky
La prison de Clairvaux vue depuis un mirador en 1979 ©Getty - Jacques Pavlovsky
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A la fin du siècle passé, le ministère de la Culture a récupéré une partie de la prison de Clairvaux dans l'Aube. L'association Renaissance de Clairvaux fait visiter le site qui ressemble à un labyrinthe, entre les signes laissés par les cisterciens et ceux émis par les prisonniers tout proches, dans un silence partagé

-François-Guillaume Lorrain fait paraitre le second volume de ses "Lieux qui ont fait la France". Le premier chapitre en est consacré à Clairvaux, dans l’Aube, qui fut tour à tour une abbaye majeure et la première prison de France.

Les circonstances font que le personnage central de ce premier chapitre, le mainteneur de la mémoire de Clairvaux, Jean-François Leroux disparaisse la semaine même de la publication. Nous l'avons salué samedi sous le soleil, dans le clair vallon. Quand Saint Bernard y mourut, couché sur sa natte en 1153, la légende veut que 888 actes de profession aient été alors conservés dans sa cellule : autant de moines passés par l'abbaye et envoyés ensuite aux quatre points cardinaux pour fonder quantité d'autres abbayes. Plus tard, à partir du Premier Empire, aux silhouettes en coule blanche succédèrent des cohortes de détenus, souvent le boulet au pied. Claude Gueux, devenu personnage de Victor Hugo, Blanqui, des communards de 1871, des résistants, au début des années 40, des collaborateurs à la fin des années 40. Quand la traction avant du général de Gaulle le ramenait dans sa maison voisine de Colombey, elle frôlait les hauts murs derrières lesquels était enfermé Charles Maurras. 

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S'il y a bien un haut lieu qui rassemble les récits entremêlés de l'histoire de France, c'est bien, comme l'écrit François Guillaume Lorrain, celui-là.

A la fin du siècle passé, le ministère de la Culture en a récupéré une partie, faisant procéder à des travaux d'urgence et aussi à des restaurations significatives. L'association Renaissance de Clairvaux, entre autres activités, fait visiter le site qui ressemble à un labyrinthe, entre les signes laissés par les cisterciens et ceux émis par les prisonniers tout proches, dans un silence partagé.

Jean-François Leroux, fondateur de l'association, avait récemment récupéré avec le directeur de la centrale une partie des collections de l'Administration pénitentiaire entreposées dans un bâtiment que l'Etat vendait, comme tant d'autres, à Fontainebleau. Il rêvait à un musée de l'enfermement - le volontaire, le pénitentiaire. 

-Ces dernières années, l'Etat semble bien embarrassé par Clairvaux.

En 2016, le Garde des Sceaux de l'époque annonce la fermeture de la centrale au motif que le passé, lourd, y inspire trop le présent. Une formule caractéristique de notre époque selon laquelle le futur se construit en tournant le dos au passé. Pour que sa décision, contestée d'un peu partout, devienne irrévocable, M. Urvoas détruit deux des bâtiments cellulaires modernes construits en 1971, au milieu de l'enceinte. Une convention signée avec le ministère de la Culture provisionne une somme conséquente pour l'élimination, en 2023, des autres installations pénitentiaires, y compris les murs extérieurs et les miradors. Donc, dans la visite de Clairvaux, on ne trouvera plus de témoignage de la prison du XXème. N'importe quel étudiant en marketing vous préviendrait que se priver de la cellule des généraux putschistes d'Alger ou et, surtout, de celle de Carlos, ce n'est pas bien malin. Mais les experts qui phosphorent à la Direction de l'Immobilier de l'Etat peuvent être en même temps omniscients et incultes.

-En tout cas, ils manquent d'idées puisqu'il y a deux ans, ils lancent une sorte de concours.

Oui, c'est nommé : appel à idées... Avant une vente au plus offrant qui proposerait sans doute un mieux-disant culturel, comme on disait à l'époque de la privatisation de TF1. Différentes propositions fleurissent dont l'une, hippique. Ah ! Faire du cheval là où les moines étaient penchés sur la terre et les prisonniers fabriquaient des chaussures à clous !

Jean-François Leroux en rédige une, autrement sérieuse, qui est adoptée par le Conseil Départemental de l'Aube qui propose de racheter l'ensemble de Clairvaux.

Mais le ministère de la Culture se réveille soudain, nomme un chargé de mission- lequel évite de se déplacer -et déclare que du stade de l'appel à idées, on va passer à l'appel à projets. Non mais ! 

L'incertitude demeure et on ne sait quel investisseur peut toujours surgir du diable vauvert.

Le nouveau préfet de l'Aube a tenu à organiser lui-même samedi l'hommage à Jean-François Leroux. Il a cité Chateaubriand : il nous faut des hommes qui veulent mais qui, en même temps, peuvent et ils sont rares.

Ouvrage : François-Guillaume Lorrain Les autres lieux qui ont fait l'histoire de France Fayard

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