La vaccination n'est efficace pour l'ensemble d'une population que si elle devient un enjeu collectif. Les autorités doivent s'engager. Bonaparte Premier consul le fait. Au moment où il signe le Concordat qui rétablit le clergé dans ses églises, il demande aux prêtres de le faire, pareillement.
-Plus de 200 projets de vaccin contre la Covid 19 sont à l'étude. Celui qui semble le plus avancé d'entre eux n'est pas arrivé à maturité que déjà, la question se pose de son caractère obligatoire. Il est vrai que l'histoire de la vaccination n'a jamais été une épopée qui serait allée de succès en succès, sans discussion.
Prenons le cas de la vaccine contre la variole. "Ne croyez pas, essayez", c'est la devise d'Edward Jenner. Il tente l'inoculation chez l'homme de la vaccine, la version animale de la variole. Il avait remarqué que les vachers et les trayeuses contractaient au contact des vaches des lésions cutanées qui ressemblaient à celles de la variole mais dont ils guérissaient.
Nous étions en 1796. La vaccine qu'il présenta ne fut pas toujours bien supportée. Au bout d'un certain délai après l'injection, elle pouvait ne plus ne plus protéger d'une nouvelle infection. Il fallut en venir à l'idée de la nécessaire répétition des injections.
Ces difficultés alimentent les oppositions. Injecter un mal pour un bien, c'est tout de même contre-intuitif. La caricature anglaise aimait alors montrer des paysans qui craignent que la vaccine leur fasse pousser des cornes de vache.
Quand Jenner meurt en 1823, sa vaccine n'est toujours pas rendue obligatoire en Angleterre. Elle ne le sera qu'en 1840.
-Et en France en 1902 seulement. La France, le pays de Pasteur ! Pasteur qui est déjà mort à cette date.
La vaccination n'est efficace pour l'ensemble d'une population que si elle devient un enjeu collectif.
Les autorités doivent s'engager. Bonaparte Premier consul le fait. Au moment où il signe le Concordat qui rétablit le clergé dans ses églises, il demande aux prêtres de le faire, pareillement. Une fois empereur, il récidive: il fait inoculer son fils le roi de Rome sur qui repose son avenir.
Mais cela ne suffit pas.
Plus tard, la République aura en effet à sa disposition la figure de légende de Pasteur qui accompagnera la diffusion des nouveaux vaccins successifs. L'incarnation par un homme, c'est très important : pensez au professeur colombien Patarroyo dont le vaccin contre le paludisme n'a malheureusement pas abouti : il était devenu très populaire en en donnant la formule à l'OMS et en disant : "Ce n'est pas parce que je me remplirai les poches que mon vaccin sera plus efficace." La médecine sans visage laisse les patients dans l'angoisse et ouvre la porte à ceux qui veulent régner par l'ignorance et les prestiges du faux.
-Quand on en vient à l'obligation, on choisit de la faire reposer sur une pierre angulaire: les enfants et plus particulièrement les nourrissons.
"Robustes et sains, nos petits hommes de demain feront une France plus vaillante". C'est une chanson qui, après-guerre, accompagnait la promotion des consultations des nourrissons. Dans des salles fournies par la collectivité, les mères défilaient, tenant à la main le fameux carnet de vaccination : tant de doses, efficaces contre tant de maladies associées, à répéter à telle date.
Ensuite, les vaccins ont été en quelque sorte victimes de leur succès. Le souvenir des grandes peurs s'est perdu. L'état lui-même a promu le choix individuel. C'est à grand'peine, au vu de la résurgence de certaines maladies contagieuses et après une longue consultation nationale, qu'il a pu définir par une loi de décembre 2017 une liste de 11 vaccins obligatoires.
-Mais la cible demeure les petits-enfants.
Il s'est avéré difficile de l'élargir. Qu'on se souvienne de la "généralisation très fortement recommandée" en 1994, du vaccin contre l'hépatite B : dans les classes de sixième d'abord puis bien au-delà. Avec ce camion-forum lancé à travers la France par Fun Radio qui mettait en garde contre les dangers de transmission par la salive. Les opposants aux vaccinations y trouvèrent l'occasion de crier à l'exagération et aussi de mettre en question la sécurité du vaccin.
On n'est pas remis de la crise de cette année-là. S'il y a bien un domaine où il faut entendre les sciences sociales pour rendre compte de la complexité du réel, c'est bien celui-là.
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