

L'Eglise qui enseigne les vertus familiales et le contrôle de la sexualité doit taire les méfaits de certains de ses serviteurs qui pourraient devenir un obstacle à son enseignement. L'institution parlait de prêtres "fourvoyés" et se demandait discrètement mais sincèrement : que faire d'eux ?
Au début de cette année, pendant que la Commission Sauvée continuait de mener son enquête, qui a d'ailleurs un volet sociohistorique, un grand spécialiste du passé catholique français est intervenu avec un livre :" On savait mais quoi ? La pédophilie dans l'Eglise depuis la Révolution."
C'est Claude Langlois. Le meilleur connaisseur peut-être du catholicisme au féminin et de Thérèse de Lisieux.
Il raconte d'ailleurs un grand moment de rupture qui se produit en 2000 dans l'enceinte du carmel de Lisieux où a vécu Thérèse et où l'évêque du lieu peut s'épancher. Mgr Pican explique aux religieuses qu'il n'a pas vu que l'agression sexuelle contre les enfants était en train de devenir le mal absolu. Il a cru devoir conserver un rôle pastoral à un prêtre qui se disait guéri de sa pédophilie. L'évêque va être condamné à une peine avec sursis pour non-dénonciation de criminel; il ne comprend pas.
Mgr Pican a pratiqué la confession, il n'est pas né de la dernière pluie, il sait ce qu'est la nature humaine. Mais dans son modèle, la victime n'a pas encore de place ; la tradition chrétienne consiste à écouter le coupable à la recherche de rédemption et la culture catholique institutionnelle consiste à protéger l'Eglise. L'Eglise qui enseigne les vertus familiales et le contrôle de la sexualité doit taire les méfaits de certains de ses serviteurs qui pourraient devenir un obstacle à son enseignement.
-Ce qui ne veut pas dire qu'elle les ignore. Langlois étudie les dispositifs qu'elle crée en son sein pour traiter les prêtres... indignes, minoritaires dans un clergé plus fourni qu'aujourd'hui.
Jusqu'il y a peu, les prêtres et les religieux ont été assez nombreux en France. Les chiffres des ordinations au lendemain de la Deuxième Guerre ont ainsi retrouvé ceux d'avant la Séparation de 1905 : 1400 par an.
Bien des ambiguïtés affleuraient, évidemment. C’étaient souvent les mères qui éprouvaient la vocation, avant les fils. Beaucoup à partir des années 1960 choisirent de quitter le sacerdoce pour se marier. Claude Langlois observe que l'Eglise accepta souvent d'organiser leur départ, comme s'il lui était resté assez de ressources pour se permettre une purge.
La pire des difficultés a en réalité surgi chez ceux qui restaient. Je me souviens de ce vieux recteur breton qui ne croyait plus à grand-chose mais qui avait peur de tomber dans la misère s'il rompait. De ce curé dynamique d'une ville-préfecture qui me donnait rendez-vous dans un café caché derrière la gare pour me révéler sa vie homosexuelle.
L'institution parlait de prêtres "fourvoyés". Et elle se demandait discrètement mais sincèrement : que faire d'eux ?
Claude Langlois étudie les lieux qu'elle créa à leur intention. Notamment le Secours sacerdotal devenu Entraide sacerdotale. Une clinique fut ainsi consacrée aux cas difficiles. Près de Cholet, dans une région de chrétienté vive dont on attendait qu'elle eût le même effet sur les prêtres perdus que l'air de la montagne sur les tuberculeux.
Mais cet établissement, bien sûr discret, renonça bien vite à la psychanalyse et à beaucoup de psychothérapies de peur de mettre en danger la foi des patients. On préféra parier sur le réarmement moral : on mit une armure de plus sur ceux qui voulaient dissimuler les mouvements de leur corps.
-En réalité, peut-être fallait-il être plus vigilant au moment du recrutement.
Oui mais les chiffres plongeaient. Les catholiques avaient espéré une régénération par le Concile Vatican II mais les questions auxquelles il apportait des solutions étaient remplacées par d'autres avant qu'il ne fût fini. Les textes de Paul VI puis de Jean-Paul II sur la morale sexuelle découragèrent les élites catholiques dont les enfants fournissaient les vocations.
De 1400 ordinations chaque année après la Libération, on est passé à 100, issues généralement de milieux traditionnels souvent résiduels.
Dans ces conditions, comment refuser les jeunes gens immatures qui se présentent ? Le pape Benoit XVI a bien voulu fermer les portes des séminaires aux homosexuels mais c'était prendre un risque suicidaire, et pas seulement celui d'être accusé de discrimination.
-Claude Langlois n'a pas dans son livre le rôle de présenter des solutions qui est demandé à la commission Sauvé.
Il observe tout de même que cette Commission a été demandée par l'Eglise elle-même. Et que celle-ci prépare ses fidèles à la commotion qu'ils vont subir.
Mgr Pican est mort depuis un moment, le cardinal Barbarin mis en bassin de radoub. La direction de l'Eglise de France actuelle telle que la décrit Langlois été constituée comme la Société de sauvetage en mer forme une flottille d'urgence pour temps de dérèglement climatique ecclésial. Son capitaine, président de la Conférence épiscopale, a été préparé dans cette perspective. On va voir comment fonctionne la communication de crise.
Ouvrage : Claude Langlois On savait mais quoi ? La pédophilie dans l'Eglise de la Révolution à nos jours Editions du Seuil
L'équipe
- Production