

Le répertoire de la civilité est pour une part issu de la chevalerie. Vous avanciez vers l'autre la paume ouverte sans arme. Et votre regard franc dans celui de l'interlocuteur. Cela signifiait : je viens vers vous avec de bonnes intentions.
-Si, dans l'ancien régime des salutations, il y a quelque chose que vous ne regrettez pas, c'est la bise systématique.
Et d'abord en microclimat médiatique. "Ah, mon chéri, qu'elle était bien ta chronique tout à l'heure!" " Et votre journal, Bruno!" Et au moment même où on vous disait cela et où vous appliquait une bise sur la joue, vous sentiez une main dans votre dos et vous vous demandiez si elle ne tenait pas un poignard.
-C'était justement la fonction de la poignée de mains : vous avanciez vers l'autre la paume ouverte
Sans arme, en effet. Et votre regard franc dans celui de l'interlocuteur. Cela signifiait : je viens vers vous avec de bonnes intentions.
Le répertoire de la civilité est pour une part issu de la chevalerie. D'ailleurs, la poignée de mains avait gardé des traces de cette origine. Nous détestions qu'elle fût molle; nous l'aimions virile, parfois prolongée; souvenez-vous de celle échangée entre les présidents Trump et Macron lors de la visite officielle de celui-ci à la Maison Blanche. Macron voulait montrer qu'il n'était pas le vassal de Trump et Trump qu'il était son suzerain - à supposer qu'il connût ce mot.
-Si on laisse de côté Trump et qu'on parle du processus de civilisation des mœurs, la généralisation de la poignée de mains a témoigné du progrès de l'égalité.
Nous avions fini par oublier en France que c'était le subordonné qui, à l'origine, devait tendre la main le premier et que le supérieur était libre de l'accepter ou de la refuser. La poignée de mains ne relevait plus du savoir-vivre mais du vivre- ensemble - pardonnez-moi ce vocabulaire.
A cet égard, les Etats-Unis ont beaucoup contribué à diffuser la poignée de mains. Au début du pays, elle avait été recommandée par les petits groupes protestants égalitaristes, les niveleurs et autres quakers, qui avaient fui l'Angleterre pour fonder un nouveau monde où chacun était frère de chacun.
-Civilité, égalité, fraternité. Mais maintenant la devise, c'est : la santé d'abord.
Je reviens aux quakers. On ne se souvient plus d'eux comme des propagateurs de la poignée de mains mais comme de saintes gens protecteurs de la santé. Ils assurent la publicité des corn-flakes, c'est dire : ces pétales de maïs filtrés, aseptisés, enveloppés dans un emballage protégé. L'évangile de la lutte contre les germes plutôt que l'évangile de l'égalité.
En France, l'impératif de la santé eu cependant beaucoup de difficulté à s'imposer face à celui de la civilité. Qui sait, par exemple, que Pasteur était un obsédé du lavage des mains au point qu'il en paraissait neurasthénique ? Nos élus d'autrefois qui étaient par essence des « toque manettes », l'auraient appris qu'ils auraient difficilement fait un saint de la République d'un homme qui ne tendait jamais la main.
-L'effacement de la poignée de mains du paysage, c'est aussi un changement géopolitique.
Maintenant le président Macron s'avance vers le prince Charles ou la chancelière Merkel les mains jointes dans un geste qui se veut vaguement chinois, façon Dupont-Dupond dans Le lotus bleu. Clément Fabre, dans un article que je vous recommande dans le numéro de septembre de la revue L'histoire remarque qu'il y a un siècle précisément, la première République chinoise avait, à l'inverse, adopté avec enthousiasme la poignée de mains. Bernard-Henri Lévy qui a beaucoup écrit sur le sujet vous dirait que c'est un signe supplémentaire du déclin de l'Occident. Clément Fabre conclut sagement qu'en tout cas, lorsqu'on pleure la poignée de mains, c'est qu'on pleure le monde où elle allait de soi.
Article : "La fin de la poignée de main" de Clément Fabre dans le magazine L'Histoire n°475 de septembre 2020
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