Pour évoquer la Commune, plutôt que de convoquer son petit monde au pied du mur des Fédérés, la jeune historienne Aurore Juvenelle propose une visite guidée de la Butte aux Cailles, le dernier secteur que tinrent les communards rive gauche.
-Dernier éclairage sur les ultimes jours de la Commune. A partir d'une visite dans le XIIIème arrondissement de Paris, à la Butte aux Cailles, proposée par une guide-conférencière d'un genre nouveau.
Les guides-conférenciers craignent que la moitié d'entre eux abandonne le métier, en l'absence de touristes étrangers. Quelques-uns renouvellent l'offre, au prix, il est vrai, d'un grand travail de documentation personnelle.
La jeune historienne Aurore Juvenelle conviait ainsi depuis un moment à un circuit Mère Lachaise - le cimetière d'un point de vue féminin. Mais pour évoquer la Commune, plutôt que de convoquer son petit monde au pied du mur des Fédérés où finirent beaucoup de fusillés de la rive droite, elle propose une visite de la Butte aux Cailles, le dernier secteur que tinrent les communards rive gauche.
C'était à l'époque un quartier bien modeste, qu'avait ignoré l'haussmannisation. Il n'était pas question de construire de hauts immeubles sur d'anciennes carrières de calcaire et on était si loin du centre ! Dans les modestes maisons de l'endroit vivaient des ouvriers et des artisans de peu.
La Butte aux Cailles doit sa notoriété soudaine le 23 mai à la décision de la fortifier à la hâte prise par le général communard Wrobleski - un exilé politique polonais. La Butte, comme son nom l'indique ,constitue une éminence, certes modeste ; de plus, elle était favorable aux embuscades, parcourue qu'elle était par un lacis de chemins qui s'insinuaient entre des jardins enclos.
-Il se trouve que l'Association des Amis de la Commune, créée dès 1882, a son siège à la Butte aux Cailles. Mais pour élaborer un circuit dans le quartier, il ne suffit pas de lire ses publications ni la bibliothèque communarde classique.
La devise qu'a choisie Aurore Juvenelle pour son association "Dédale", c'est : "Flâner est une science". Elle est donc allée à la source de la science historique : les Archives nationales, celles de la Défense, celles de Paris. A la recherche des dossiers de jugement ou de recours en grâce des communards ou supposés tels.
Il se trouve qu'un des dossiers les plus fournis - des centaines de pages- concerne le passage Barrault, le haut lieu de sa visite, qui relie la rue des Cinq Diamants et la rue de la Glacière.
Il s'appelait à l'époque passage Dubois, du nom du propriétaire qui y possédait une maison et un jardin ceint de murs. Le 23 mai, les fédérés y dressent une barricade. Peu auparavant, Dubois s'était enquis de l'avancée des Versaillais qui tenaient déjà le carrefour d’Alésia à l'Ouest et on lui avait répondu que le peuple l'avait à l'œil. Le 24, alors que les Versaillais sont parvenus au Panthéon et à la Santé, les fédérés veulent pénétrer dans le jardin pour pratiquer des créneaux dans le mur de Dubois, à la hauteur de la barricade. Dubois par trois fois refuse d'ouvrir ; les fédérés, au son du clairon, se réunissent devant la porte du jardin et l'enfoncent. Dubois et sa domestique se réfugient à l'étage de la maison et depuis le balcon, Dubois jette de l'acide sulfurique sur les assaillants. D'où diable tient-il à sa disposition du vitriol fumant, très dangereux ? Plusieurs hommes sont atteints dont l'un au visage. D'autres pénètrent dans la maison, courent dans l'escalier. Le jeune Rouillac 19 ans tire sur Dubois qui sera achevé à coups de baïonnette. Son corps restera exposé vingt-quatre heures sur le balcon. Les archives du procès intenté aux meurtriers indiquent que dans la nuit du 24 au 25, la maison sera pillée et la cave délestée de 200 bouteilles de vin.
-Le 25, les Versaillais encerclent la Butte aux Cailles...
Mais un millier de fédérés réussit à rejoindre en bon ordre la Seine par le pont d'Austerlitz tandis qu'une contre-attaque part de la Butte. Dernier sursaut symbolique.
38, rue des Cinq Diamants. Le marchand de vins Antoine Bugis est arrêté ; il a pressé la fille Meunier de faire descendre d'une maison son amant pour qu'il vienne combattre avec lui dans le jardin. L'amant de la fille Meunier était absent mais la femme de Bugis se tenait bien là, elle. Elle charge son mari dont elle veut sans doute se débarrasser. Déportation en Nouvelle Calédonie.
9, rue de la Butte aux Cailles. La femme Gaspard épouse d'un marchand de lacets, est dénoncée par deux voisins comme ayant participé à un pillage d'un château, non loin à Arcueil. Elle aimait porter l'uniforme de la Garde Nationale et une carabine en bandoulière. On la retrouvera non pas avec son mari déjà arrêté mais chez un ex-lieutenant de la Garde Nationale. Il est vrai, disent les archives qu'elle avait été fille publique. Déportation en Nouvelle Calédonie. Louise Michel lui rendra hommage dans ses Mémoires peu après sa mort dans un hospice en 1885.
-Dernière adresse de la visite d'Aurore Juvenelle : la place de la Commune de Paris.
Située sur le parcours de la rue de la Butte aux Cailles. En l'an de grâce 2000, le Conseil de Paris à majorité de droite à l'époque avait voté pour cette désignation. L'inauguration a eu lieu en présence du maire du XIIIème Jacques Toubon qui avait parlé de la Semaine sanglante comme d'un massacre.
Jean Tibéri qui, on s'en souvient peut-être, était maire de la capitale avait tenu à s'exprimer. Bon, il avait éprouvé quelques difficultés avec l'auditoire quand il avait soutenu que Thiers restait tout de même dans l'histoire comme un prophète d'une République qu'il avait voulue conservatrice et libérale. Néanmoins il avait osé se présenter comme un héritier de la Commune, émancipatrice de Paris.
En 2021, en tout cas jusqu'ici, il ne semble pas que le président Macron consente à en dire autant.
-Pour visiter la Butte aux Cailles telle qu'elle fut en 1871, www.dedale.org
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