Un étranger nommé Picasso

Pablo Picasso dans son atelier rue des Grands Augustins à Paris en janvier 1944
Pablo Picasso dans son atelier rue des Grands Augustins à Paris en janvier 1944 ©Getty - Bettmann
Pablo Picasso dans son atelier rue des Grands Augustins à Paris en janvier 1944 ©Getty - Bettmann
Pablo Picasso dans son atelier rue des Grands Augustins à Paris en janvier 1944 ©Getty - Bettmann
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Le jeune Picasso qui s'y prend à trois reprises entre 1900 et 1904 pour s'installer à Paris a vite appris à ne compter que sur d'autres artistes d'esprit indépendant et sur des étrangers installés dans la capitale. Grâce à ces soutiens bien gérés il est devenu la tête de file de ce qu'on nomme l'avant-garde européenne.

-La France s'enorgueillit du choix qu'a fait Picasso de vivre dans notre pays. Mais, avant l'effort consenti pour la création du musée Picasso, nos institutions culturelles n'avaient pas nécessairement bien traité sa peinture. Annie Cohen-Solal, dans un livre qui parait aujourd'hui, "Un étranger nommé Picasso" raconte comment les instances policières l'ont moins bien traité encore, refusant en mai 40 une naturalisation qui l'aurait protégé après la défaite.

Le jeune Pablo qui s'y prend à trois reprises entre 1900 et 1904 pour s'installer à Paris a vite appris à ne compter que sur d'autres artistes d'esprit indépendant - Max Jacob, Apollinaire... Et aussi sur des étrangers installés dans la capitale. Le galeriste allemand Kahnweiler, l'américaine Gertrud Stein à qui il écrivait : "Mademoiselle Gertrud Stein homme de lettres". Importent aussi beaucoup les collectionneurs de différents pays d'Europe qui viennent chercher en France la poule aux œufs d'or- on pense au russe Chtouchkine qui achète plusieurs dizaines de toiles dans les années précédant immédiatement la Première Guerre.

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C'est grâce à ces soutiens bien gérés par Picasso qui les enregistre soigneusement dans ses carnets qu'en 1914, il est devenu la tête de file de ce qu'on nomme l'avant-garde européenne.

-1914. L'homme internationalisé qu'il est voit les frontières se dresser devant lui.

Fort heureusement pour ses intérêts, l'Espagne dont il a la nationalité reste neutre. Mais Kahnweiler le galeriste avec qui il a signé l'exclusivité doit quitter le pays, ses biens -dont ses œuvres de Picasso - sont mis sous séquestre ainsi qu'un gros chèque qu'il avait signé au peintre qui se trouve sans marchand, sans rentrées financières.

Mais le système Picasso qu'Annie Cohen-Solal décrit par le menu, c'est une vraie équipe avec des remplaçants. Pablo compose le Gutenberg 21 59; au bout du fil, le collectionneur André Level va se révéler providentiel, débrouillant toutes les questions, avec ceux qu'il nomme "les petits gardiens de l'ordre français" : le contrôleur des contributions, le percepteur, le commissaire de police...

Une fois tout son système d'alliances reconsidéré et la Première Guerre gagnée, Picasso va pouvoir repartir d'un bon pied dans le vaste monde.

Les amateurs le verront accélérer le pas, changeant sans cesse de style au point qu'il leur faut dater ses toiles non pas avec l'année mais avec le mois : novembre peut être très différent d'août. Les années 20 et 30 voient aussi le système Picasso chercher son centre de gravité de plus en plus vers les Etats-Unis. Le MOMA de New York s'intéresse à lui bien davantage que les musées français.

-1939-1940. Une fois encore, Picasso a l'impression qu'un gouffre s'ouvre de nouveau sous ses pieds.

Aussi fait-il, pour la première fois, la démarche de demander la nationalité française. Le dossier déposé en avril est rapidement instruit, bénéficiant de nombreux soutiens. Mais il est pourtant rejeté - et sans doute pas à cause du désordre qui va bientôt gagner l'administration après l'offensive allemande. Non, au contraire, tout reste bien rangé à la Préfecture de police, escalier F, deuxième étage salle 205, au service des étrangers. Annie Cohen-Solal a consulté le premier dossier constitué sur Picasso dès 1901. Des indicateurs qui portaient des noms de Pieds nickelés, Finot, Foureur, Bornibis et Giroflée y avaient décrit le jeune Pablo comme un dangereux anarchiste dissimulé sur la Butte Montmartre au milieu des voyous. Aux papiers accumulés depuis 1901, un inspecteur Chevalier a ajouté en 1940 le coup de grâce : "Cet étranger a déclaré qu'il lèguerait ses collections au gouvernement soviétique, il n'a aucun titre pour obtenir la naturalisation". On ne sera pas étonné d'apprendre que Chevalier passera vite à la collaboration. Ce qui est plus piquant, c'est qu'il est par ailleurs peintre sous le nom de Chevalier Milo. Sa fiche Wikipédia précise qu'il s'est "consacré à rendre la beauté de la nature et des saisons."

-Picasso va passer l'occupation à Paris, ne sortant guère de son atelier des Grands Augustins...

Marchant sur une corde raide, recevant des visiteurs de tous bords pour ne se couper de personne qui pourrait lui être utile. Boris Kochno l'ancien directeur des Ballets russes me raconta cette histoire qu'il situait à cette époque. "Une fois que Picasso ne répondait pas, j'avais collé une rose en bouton sur sa porte. Croyez-moi si vous voulez, revenant plusieurs jours plus tard, la rose avait fleuri, sans eau ni lumière."

Rien ne dit mieux la capacité de rebond de Picasso.

Dès août 44, il ouvre à tous les Grands Augustins, il se montre partout, peu après il adhère au Parti communiste. Du communisme il retenait surtout l'internationalisme.

Il ne déposera plus jamais de dossier à la Préfecture de police.

Ouvrage : Annie Cohen-Solal Un étranger nommé Picasso Fayard

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