Covid-19 : essais cliniques et recherches de traitements

Où en sommes-nous dans la recherche de traitements et de vaccins contre la covid19 ?
Où en sommes-nous dans la recherche de traitements et de vaccins contre la covid19 ? ©Getty -  Prapass Pulsub
Où en sommes-nous dans la recherche de traitements et de vaccins contre la covid19 ? ©Getty - Prapass Pulsub
Où en sommes-nous dans la recherche de traitements et de vaccins contre la covid19 ? ©Getty - Prapass Pulsub
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L’épidémie de Covid19 suscite un extraordinaire effort de recherche d’un traitement, notamment en étudiant des molécules utilisées pour d’autres pathologies pour déterminer si elles peuvent aider à réduire la mortalité de la Covid19.

Avec
  • Étienne Decroly Virologue spécialiste du VIH. Directeur de recherche au CNRS dans le laboratoire Architecture et Fonction des Macromolécules Biologiques (AFMB) de l’Université d’Aix-Marseille

Nous en parlons avec Etienne Decroly directeur de recherches CNRS à Marseille. Il travaille sur les coronavirus et les virus émergents.

Les centaines d’essais engagés ne se font-ils pas dans un désordre nuisible à l’avancée des connaissances ?

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Nous préparons, avec des collègues, une revue des molécules susceptibles d’avoir un effet sur le Covid-19, qui paraîtra prochainement dans un journal scientifique. Globalement, nous avons recensé environ 800 essais dans le monde, dont environ 600 essais cliniques qui portent sur des traitements, le reste étant sur la recherche d’un vaccin. Ces 600 essais concernent moins d’une vingtaine de molécules, qu’on peut classer en deux catégories: les antiviraux, et les modulateurs d’immunité. Beaucoup d’essais sont donc redondants et sans bras contrôle [sans groupe de patient qui ne reçoivent pas de thérapie spécifique, pour avoir un élément de comparaison, NDLR]. Quelles conclusions pourra-t-on tirer de ces centaines d’essais qui portent le plus souvent sur moins de 100 patients? Je m’interroge.

Vous évoquez deux catégories, deux stratégies thérapeutiques, que sait-on à leur propos ?

Les anti-viraux peuvent présenter une grande efficacité à condition d’être administrés très très tôt. Par exemple, le remdesivir a montré, pour le Sars-CoV-1 (le virus de l’épidémie de Sras de 2003), une efficacité chez le singe. Quand il est administré à titre préventif face à ce virus, l’efficacité du remdesivir atteint 100%, tout comme lorsqu’il est administré au moment de l’infection. En revanche, si on attend le lendemain, il perd en efficacité, et ce d’autant plus qu’on s’éloigne du moment de l’infection.

On peut traiter de manière très précoce, avant l’apparition de symptômes ?

Oui, par exemple, on peut imaginer de traiter toutes les personnes qui ont été en contact avec une personne malade, pour éviter qu’elles ne tombent malade ou qu’elles deviennent contaminantes pour d’autres personnes. Ce type d’approches dérive des vaccinations des cas contacts développées lors de l’épidémie de virus ebola de 2013-2015. Dans le cas du HIV, le virus du sida, c’est ce qu’on appelle la Prophylaxie pré-exposition (PrEP), qui se pratique par exemple, et avec une très grande efficacité, pour des personnes à très haut risque de contamination.

La seconde voie de recherches contre les virus porte sur la modulation de l’immunité ?

Oui, soit pour induire une meilleure réponse du système immunitaire du patient, soit pour bloquer l’emballement de son système immunitaire, cet orage de cytokines qui s’est avéré si meurtrier dans le cas du Covid-19. On administre ces molécules aux patients qui montrent des symptômes, par exemple quand ils entrent à l’hôpital, ou quand ils doivent être placés en réanimation.

Vous évoquiez la dispersion dans laquelle se déroulent les essais cliniques, avec beaucoup d’essais sur peu de patients. Dans le même temps, on comprend que les médecins souhaitent agir quand ils voient l’état de leurs patients se dégrader…

Bien sûr, et je comprends parfaitement le point de vue qui consiste à dire qu’il ne serait pas éthique de ne rient tenter. Mais on aurait pu tirer un meilleur profit de ces essais s’ils avaient été mieux coordonnés et mieux construits, par exemple en multipliant les bras —les différentes thérapeutiques testées dans un essai— et en systématisant les groupes de contrôle (sans action thérapeutique particulière). Si on prend un peu de recul et qu’on essaie de déterminer ce que l’on aura appris après trois mois d’épidémie en Europe et deux mois de confinement dans de nombreux pays, le bilan risque d’être très maigre. En voulant sauver des individus, ce qui encore une fois est louable et légitime, on ne connaitra pas vraiment les médicaments ou associations de médicaments qui fonctionnent. Les multi-thérapies se sont souvent montrées très efficace pour des maladies virales comme le sida ou l’hépatite C, car elles permettent à la fois de réduire les doses employées et de prévenir l’apparition de résistances. Faute d’études cliniques réalisées dans des conditions suffisamaent comparables, on risque de se retrouver avec des statistiques peu fiables. Il faut savoir arbitrer entre l’intérêt du patient et l’intérêt collectif, ce débat doit avoir lieu.

Les essais de médicaments contre le Covid-19 font l’objet d’une bataille de communication féroce entre les équipes, les laboratoires. On a beaucoup critiqué les méthodes du Pr Raoult, mais l’APHP a récemment communiqué sur des résultats encourageants, sans les étayer par une publication scientifique ni même des données, au point que les membres du comité de suivi scientifique ont démissionné pour protester contre cette communication jugée prématurée. Ne va-t-on pas trop loin ?

Nous sommes dans une situation d’urgence, et les gens ont besoin d’un sauveur pour se sortir de l’océan de mauvaises nouvelles qui s’accumule depuis le début de l’épidémie. La science se fait sur un temps moyen et long, elle comporte des délais incompressibles. Les gens veulent une réponse directe à leurs questions, mais cette réponse passe souvent par des détours. Le rôle de la science, c’est justement de trouver le meilleur détour pour arriver à destination, ce qui prend du temps.

Paradoxalement, alors qu’un nombre considérables d’essais thérapeutiques sont en cours, vous regrettez que d’autres recherches n’aient pas été engagés. A quoi pensez-vous ?

Avec l’ampleur des bilans humains, plus de 25 000 morts en France, par exemple, on gagnerait à étudier en détail le dossier médical des victimes. C’est compliqué pour des raisons de législation et des problèmes de fichiers informatiques qui ne sont pas connectés. Mais on pourrait étudier, dans ces dossiers médicaux, l’usage des cinquante médicaments les plus couramment utilisés, en particulier pour les personnes atteintes de maladies chroniques. Voir si les utilisateurs de telle ou telle molécule meurent plus ou moins que d’autres personnes de même âge, de même sexe etc. Par exemple, des études in vitro montrent une action antivirale de certains médicaments, ceux qu’on appelle des inhibiteurs de la pompe à proton, qui sont largement prescrits contre le reflux gastrique. Il serait intéressant de voir si la consommation régulière de ces médicaments a un effet ou pas sur la mortalité du Covid-19. Ce type d’études, qui ne réclame pas d’autopsie ou d’analyse, mais une étude statistique des dossiers médicaux pourraient aider à repositionner des molécules existantes et renforcer notre arsenal thérapeutique. Il y a des obstacles juridiques (secret médical) et des problèmes de fichiers informatiques qui ne sont pas reliés. Mais le jeu en vaut la chandelle si les données sont  « anonymisées ». De la même manière, il faudra vérifier l’hypothèse qui laisse penser que les fumeurs meurent moins du Covid-19 qu’on pourrait l’attendre. Puis tenter de comprendre si la nicotine ou un autre composé du tabac sont susceptibles d’expliquer cet effet bénéfique face au Covid-19, s’il est confiéer par de solides statistiques.

En France, l’essai Discovery vise à comparer cinq stratégies différentes, quatre avec un médicament ou une association de molécules, et la cinquième sans thérapie, un groupe de contrôle. Mais son intérêt semble compromis, car les pays étrangers n’ont pas suivi, au point qu’il y a quatre fois moins de patients que prévu. Il faudrait plus de coopération et de coordination ?

Discovery était une tentative de coordination à l’échelle européenne et je ne sais pas pourquoi cet essai n’a pas été suivi dans d’autres pays, ce qui est fort dommage. Il y a un vrai problème de coordination des essais cliniques, notamment à l’échelle de l’Europe. S’ils étaient organisés dans le même cadre, ou au moins dans des conditions similaires, on en tirerait des statistiques plus solides. Je défends l’importance de la méthodologie scientifique, même en période de crise. Il s’agit de trouver des réponses qui puissent bénéficier à l’ensemble de la société. Nous avons pour cela besoin d’études statistiquement solides, avec de nombreux patients comparés à des groupes de contrôle. Sinon, on risque de se retrouver dans la même situation qu’au début de cette année et d’être désarmés si l’épidémie redémarre dans les semaines ou les mois qui viennent.

Propos recueillis par D.Dq

Petit glossaire sur les essais cliniques

Essai clinique: c’est une procédure de test d’un médicament (ou d’un vaccin). Elle se fait en trois étapes: la phase I (toxicité), la phase II (sûreté, action sur l’organisme) et la phase III (efficacité et tolérance). Dans le cas des essais sur le Covid-19, la plupart se déroulent en phase III, car il s’agit de médicaments déjà sur le marché qui sont testés pour une nouvelle application. Une fois un médicament approuvé, une phase IV consiste à assurer un suivi à long terme de l’efficacité et des effets indésirables de ce traitement.

Bras (ou groupe) de traitement: Il correspond à un groupe de patient qui reçoit un médicament.

Bras (ou groupe) de contrôle: il s’agit d’un groupe de patient qui ne reçoit pas de médicament spécifique contre la maladie visée. Il permet de comparer l’effet des thérapies testées dans les autres bras d’un essai clinique.

Essai ouvert: dans ce cas, le patient et le médecin prescripteur savent quelle molécule est administrée.

Essai randomisé: les patients sont affectés dans l’un des groupes de l’essai par tirage au sort.

Essai en double aveugle contre placebo: Le patient reçoit un médicament ou un placebo, après tirage au sort. Ni lui, ni le médecin savent que qui est administré. Dans le cas du Covid-19, très peu d’essais ont lieu de cette manière, car ils sont plus longs et complexes à organiser.

Pour en savoir plus

Coronavirus: Véran explique pourquoi l’essai Discovery patine (Huffington Post, 11 mai 2020)

Tocilizumab: l’essai clinique de l’APHP caviardé, brisé mais libéré (Libération, 6 mai 2020)

Sur les essais cliniques, l’Europe est un échec (Le Monde, 1er mai 2020)

Contre le coronavirus, premiers résultats non concluants de l’antiviral Remdesivir (Le Monde, 24 avril 2020)

Coronavirus: l’OMS préconise des tests rigoureux sur la pharmacopée traditionnelle en Afrique (Le Monde, 5 mai 2020)

Chloroquine: premiers résultats décevants (Le Figaro, 17 avril 2020)

Essais cliniques sur le Covid: trop d’enthousiasme, trop vite? (France Inter, 5 mai 2020)

Recherche clinique et Covid-19: la science n’est pas une option (Académie de médecine, 8 mai 2020)

Médicaments contre le Covid-19: le point sur les espoirs pour un remède (Journal du Dimanche, 7 mai 2020)

Un tracker de tous les essais cliniques contre le Covid dans le monde

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