La fonte du pergélisol liée au réchauffement climatique dans les régions boréales laisse émerger des virus qui ont résistés à des milliers d'années de congélation. Jusqu'à présent peu de personnes étaient en contact avec ceux-ci, mais la course à l'extraction dans les régions arctiques met en péril les populations.
On sait que la fonte accélérée des sols gelés dans plusieurs régions du monde met au jour des restes humains, des restes d'animaux ou de végétaux et il faut savoir que les bactéries et les virus qu'ils contiennent ne sont pas forcément morts avec eux.
C'est ainsi qu'en 2016, en Sibérie, à l'occasion d'une vague de chaleur sans précédent pendant l'été, la fonte du pergélisol (ou "permafrost" en anglais) a eu pour effet de ramener à la surface un cadavre ancien de renne et de libérer une bactérie destructrice : l'anthrax, qui provoque la maladie du charbon. En quelques jours, cette bactérie a entraîné la mort de milliers de rennes, contaminé des éleveurs et tué un enfant.
Il n'est pas exclu que ce type d'événement augmente avec le réchauffement climatique. Pour l'instant, la résurgence de virus ou de bactéries se fait de manière locale, mais elle pourrait entraîner un vrai risque sanitaire en raison de l'augmentation des températures et de l'essor démographique.
Prenez des régions reculées comme la Sibérie : cet endroit du globe, avec la fonte de la glace, devient désormais accessible à l'homme et on assiste à de véritables folies industrielles avec la création de mines à ciel ouvert pour extraire des métaux précieux, des terres rares ou des hydrocarbures. Les entreprises vont donc forer dans le sol sur des centaines de mètres de profondeur, en retirant au préalable toute la couche de glace qui empêche d'accéder au pétrole ou aux minerais. Et le danger, comme on va le voir avec notre invité, est donc de mettre en contact des microbes qui n'ont vu personne depuis des milliers d'années avec des êtres humains qui ne possèdent pas d'immunité pour s'en défendre. Ce genre de scénario catastrophe est possible, même s'il est évidemment difficile d'en évaluer la probabilité.
Tous les risques ne viennent pas que des régions froides, bien au contraire, puisque l'on voit des virus contemporains comme le chikungunya ou Zika, qui étendent leur zone géographique avec le réchauffement climatique, grâce aux moustiques qui les véhiculent rapidement avec les transports ou le commerce international. La lutte contre le dérèglement du climat est donc une priorité absolue pour se prémunir contre des crises sanitaires comme celle que nous vivons actuellement.
Nous en parlons avec Jean-Michel Claverie, professeur de génomique à l’Université Aix-Marseille. Il dirige, avec Chantal Abergel, le laboratoire Information génomique et structurale de l’Institut méditerranéen de microbiologie. On leur doit notamment la découverte de plusieurs virus géants, datant de 30 000 à 40 000 ans mais vivants, dans le pergélisol de Sibérie.
Extraits de l'émission
Comment avez-vous pu réactiver un virus ?
Jean-Michel Claverie a réactivé un virus géant, phytovirus sibericum, vieux de 30 000 ans en 2014 (non dangereux pour l'homme ou les animaux)
Jean-Michel Claverie : "Ca a fait suite à un travail que j'ai vu publié dans la revue américaine : des Russes avaient été capables de réactiver une plante à partir de sol gelé donc de pergélisol qui datait de 30 000 ans. Et je me suis dit : "s'ils ont pu le faire, on doit pouvoir réactiver le virus".
Est-ce qu'on pourrait réactiver des virus pathogènes ?
Jean-Michel Claverie :
Il n'y a aucun risque de réactiver des virus qui seraient dangereux pour des animaux, des plantes ou des humains. On n'en aurait pas l'autorisation, et ce serait même stupide de notre part de tenter de réactiver les épidémies du passé, sans aucune protection particulière.
Comment les virus mutent ?
Jean-Michel Claverie : "A chaque fois que les humains font des enfants, il y a à peu près un millier de différences entre les gênes de ses parents et les gênes de l'enfant. C'est un processus qui est inhérent au fait que l'on doit multiplier son ADN pour arriver à avoir une progéniture.
Il se trouve que les virus font des erreurs dans cette réplication de l'ADN, beaucoup plus souvent, en tous cas pour certains virus, que ne le font les humains. C'est notamment le cas pour le virus qui nous occupe actuellement, le coronavirus : il n'a pas un génome fait d'ADN, mais d'une autre molécule, l'ARN. La synthèse de cette molécule fait beaucoup plus d'erreurs que celle de l'ADN. C'est pour ça que ces virus, comme ceux de la grippe, par exemple, mutent
[... ]Des mutations s'installent dans ces protéines et éventuellement des mutations dans sa contagiosité, dans sa pathogénicité et le fait qu'il est capable de passer du pangolin ou de la chauve souris à l'homme_"_
Dans le cas du coronavirus, c'est pas véritablement le virus qui nous tue mais c'est malheureusement la réaction que notre système immunitaire un peu trop virulente dans certains cas_._
Pourquoi les forages sont-ils dangereux ?
Jean-Michel Claverie : "Il faut bien voir que, chaque été, il peut faire très chaud en Arctique. J'y étais au mois d'août, à à peu près 600 km du cercle arctique. On pouvait se baigner dans une rivière, la Kolyma qui était à 18, 19 °C. Il faisait à peu près 25 °C [dans l'air, ndlr].
Chaque été, une couche superficielle de ce pergélisol décongèle sur à peu près 50 centimètres et donc, à chaque fois, relargue dans la nature (dans ces rivières qui ensuite, vont se déverser dans l'océan Arctique) des anciens bactéries et virus.
Seulement, dès que ces virus et bactéries passent dans l'atmosphère, elles sont soumises à l'oxygène et aux rayons ultraviolets. Et elles sont stérilisées très rapidement si elles ne rencontrent pas leur hôte.
Donc en fin de compte, ce n'est pas ce processus relativement lent et superficiel qui est dangereux mais quand l'homme, [en faisant des forages] s'amuse d'un seul coup à extraire des milliards de tonnes de ce matériel, et donc relargue des milliards de milliards de ces bactéries en une seule fois, et en amenant surtout des gens à l'endroit où il n'y avait personne, c'est là qu'on crée un véritable danger.
Un risque, c'est à la fois un danger, mais c'est également une exposition. S'il y a des requins dans la mer et qu'il n'y a pas de surfeurs, il n'y a aucun risque. C'est ce qui se passe actuellement en Arctique : quand il n'y a personne, il n'y a aucun risque. Maintenant quand on amène des villes entières (les Russes sont capables d'installer des colonies industrielles de 100 000 personnes en les alimentant en électricité avec des réacteurs nucléaires flottants), et bien là il y a un risque"
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Et les virus transportés par les moustiques ?
On assiste à l'arrivée d'autres virus transportés par les moustiques dans des régions qui sont sous nos latitudes, par exemple. Est ce que le vrai danger n'est pas d'abord là ?
Jean-Michel Claverie : "Effectivement, on est pris en sandwich.
Les régions tempérées se retrouvent menacées par les tous les miasmes qui reviennent du Sud et il y a maintenant le Nord qui nous ramène éventuellement ces miasmes du passé.
Bon, on a du mal à vraiment savoir quels sont les vrais dangers : rappelez-vous le moustique tigre, qui a fait son apparition il y a quelques années, notamment dans le sud de la France. On a pensé que, peut-être, arriverait très vite ces virus Zika. Mais pour l'instant, ça ne s'est pas passé. Donc, en fin de compte, c'est un peu plus compliqué que ça."
Est-ce que certains virus extrêmement dangereux, comme celui de la variole (déclarée éradiquée en 1980) pourraient réapparaître ?
Jean-Michel Claverie : "Malheureusement oui.
Quand on enterre des gens dans le sol gelé, il n'y a aucune décomposition. Cette expérience a été faite : des chercheurs français, il y a quelques années, ont publié un article [à ce sujet]. Ils ont pris des momies qui étaient quasiment encore intactes, enterrées il y a 300 ou 400 ans. On a fait des études génétiques sur ces momies et on y a trouvé, très clairement, les signaux correspondant au virus de la variole. Bien sûr, ils n'ont pas cherché à le réactiver.
Donc, on sait que si les gens sont morts de la variole il y a 300 400 ans et qu'on les enterre dans le congélateur qu'est le permafrost, il y a encore des virus parfaitement infectieux qui resteraient dans ces cas-là.
Les humains n'ont pas du tout d'immunité face à ces virus anciens ?
Jean-Michel Claverie : "Contre la variole, on avait la vaccination. Plus maintenant, mais ça serait assez facile à réinstituer.
Mais vous voyez le problème du coronavirus : notre société ne l'a jamais vu, et vous voyez les dégâts que ça fait quand on est exposé à véritablement un nouveau virus, que nos systèmes immunitaires collectifs n'ont encore jamais vu.
Un virus du passé qui a disparu depuis 10 000 ans pourrait faire énormément de dégâts dans nos sociétés modernes.
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