Algues vertes en Bretagne : des vérités qui dérangent

Algues vertes en Bretagne : des vérités qui dérangent
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Les algues vertes : une pollution qui infeste les plages de Bretagne depuis un demi-siècle. Ultra toxique, elle fait fuir les touristes et a déjà tué.

C’est le résultat de plusieurs décennies d’aveuglement des pouvoirs publics face à un phénomène qui oppose tenants de l’agriculture intensive et défenseurs de l’environnement. Une calamité qui est toujours d’actualité à la veille des grandes vacances de l'été.

On continue de ramasser chaque année 50 000 tonnes d’algues vertes en Bretagne. Le déficit pour la région et pour le tourisme est estimé à plus d’un milliard d’euros. Mais au-delà du coût économique, ces algues peuvent poser un risque majeur pour la santé publique : quand elles pourrissent, et ce dans un délai de quarante-huit heures, elles développent un gaz ultra toxique, de l’hydrogène sulfuré, qui peut tuer comme du cyanure, en quelques secondes.

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L’accident de Saint Michel-en-Grève

Vincent Petit en a fait l’expérience en juillet 2009 sur la plage de Saint-Michel-en-Grève dans les Côtes d’Armor alors qu’il se promenait à cheval :

Vincent Petit
Vincent Petit
© Inès Léraud/RF - Inès Léraud/RF

Après avoir mis pied à terre, je m’enfonce tout d'un coup dans une vasière restée invisible, et ce jusqu’aux genoux. Idem pour mon cheval qui met les antérieurs dans la vase. En quelques instants, il fait un arrêt respiratoire. A partir de là je vous garantis que ce fut le rideau noir, je n’ai plus aucun souvenir de comment ils s’y sont pris pour me sortir de là, me ranimer et me mettre dans une ambulance

Le lanceur d’alerte et la résistance des autorités sanitaires

A l’hôpital, le cavalier est suivi par un médecin urgentiste Pierre Philippe . Ce dernier a déjà rencontré plusieurs cas similaires d’intoxication. Il alerte même sur ce danger depuis vingt ans mais personne ne veut l’écouter.

Première alerte lancée par l'urgentiste Pierre Philippe auprès des instances sanitaires
Première alerte lancée par l'urgentiste Pierre Philippe auprès des instances sanitaires
© P.Philippe - P.Philippe

De même, lorsqu’il demande une autopsie du cheval décédé, il se heurte à un véritable mur :

Pierre Philippe
Pierre Philippe
© Inès Leraud/RF - Inès Leraud/RF

Je me suis heurté aux pires oppositions. Je n’avais pas le droit de faire cette demande, il fallait que cela passe par les autorités sanitaires. Une véritable plaie durant plusieurs matinées passées à me battre pour obtenir cette autopsie. La direction de l’hôpital par l’intermédiaire du directeur adjoint est venue m’avertir de faire attention, qu’elle avait reçu des appels de la DDASS, de la préfecture, affirmant que j’étais sur la ligne rouge à ne pas franchir. On m’a bien mis en garde.

Pourquoi une telle résistance ? En période estivale, hors de question de faire fuir les touristes. Pourtant l’autopsie du cheval est finalement réalisée. Les conclusions sont sans appel aux yeux du cavalier Vincent Petit :

On a constaté des poumons extrêmement congestionnés avec un afflux de sang massif, compatible avec une intoxication par un gaz. Gaz retrouvé à un taux - qu’on ne peut pas dire anormalement élevé puisqu’il n’est pas présent sinon à l’état de trace dans des tissus humains ou animaux - à plus d’un milligramme par kilo de matière. Une quasi bombe atomique dans le poumon !

Une bombe atomique qui va provoquer cette fois une déflagration politique. Pas moins de quatre ministres se déplacent en urgence sur les plages bretonnes. Chantal Jouanno , la secrétaire d'Etat à l’écologie de l’époque, ne cache pas son inquiétude :

Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat à l'écologie et Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, juillet 2010
Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat à l'écologie et Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, juillet 2010
© L. Le Saux/SIPA - L. Le Saux/SIPA

Effectivement les résultats sont très clairs. Les doses de gaz sur les algues en décomposition, cet hydrogène sulfuré, sont le double des doses mortelles. Ce m’a frappé dans ce dossier est le nombre d’années où on a joué la politique de l’autruche.

Responsabilité de l’agriculture intensive et lobbyisme

L’origine de ces algues est parfaitement connue. Les chercheurs de l’IFREMER l’ont clairement identifiée : c’est la conséquence de la pollution des eaux par l’agriculture intensive, et ses rejets de nitrates. Mais des lobbies sont à la manœuvre et travaillent avec des experts qui, eux, continuent de distiller le doute comme l'agronome Christian Buson, consultant pour l'industrie agroalimentaire :

Christian Buson
Christian Buson
© JL Padellec/Télégramme/maxPPP - JL Padellec/Télégramme/maxPPP

On a voulu voir un symbole dans ces marées vertes : le revers de la médaille de l’agriculture soit disant intensive, sans faire la démonstration réelle que cette cause était sérieuse et valable.

Sd’I :Vous êtes quand même financé par des grosses entreprises de l’agroalimentaire ?

C.Buson : C’est une extrapolation que vous faîtes là ! C’est totalement hors de propos

Sd'I : Vous n’avez jamais été financé par l’agroalimentaire ?

C.Buson : Je n’ai pas à vous parler de ça, c’est hors sujet. Coupez ça.

Un coût élevé mais peu de résultats

Hors sujet, c’est loin d’être aussi certain. En réalité, cette stratégie du doute prolonge l’inaction environnementale. Pire, alors que l’Etat a donné des centaines de millions d’euros de subventions à la Bretagne dans le cadre du Plan Algues Vertes, cet argent a servi, au contraire, selon Jacques Mangold un ancien adjoint au maire de Saint Brieuc, à augmenter la taille des exploitations agricoles :

Jacques Mangold
Jacques Mangold
© Inès Léraud/RF - Inès Léraud/RF

Certaines exploitations l’ont utilisé pour améliorer les manières de gérer leurs effluents d’élevage et donc leur nitrate, mais tout l’argent n’a pas servi qu’à ça. Il a permis aussi d’augmenter les capacités de rétention de lisier sur la ferme ce qui permettait aussi de produire davantage. Donc effet nul de la mesure pour l’environnement, intéressant pour l’agriculteur puisqu’il produisait plus. Lorsqu’on sortait de réunion avec l’ancien responsable FNSEA pour l’environnement, il était d’accord pour diminuer les nitrates, mais quand on était dans l’escalier il pensait aussi peut-être à augmenter la production !

Et le conseil régional présidé par Jean-Yves le Drian - ministre de la Défense du gouvernement Valls - ne fait rien pour arranger les choses. Il vient de supprimer ses aides à un conseil scientifique indépendant qui travaillait justement sur les algues vertes…

►►► L'enquête complète d'Inès Léraud à écouter dans Secrets d'info ce vendredi 10 juin 2016 à 19 h 20

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