Faut-il ou non retarder le déploiement de la 5G ? Le débat fait rage à quelques jours de l’attribution des fréquences. A Montpellier, ville labellisée "French Tech", ville test aussi, qui a expérimenté la 5G durant plusieurs mois, les antis et pros affûtent leurs arguments.
C'est un exemple type d'entreprise qui a tout intérêt à voir la 5G se développer rapidement. Matooma, raccourci de "Machine to Machine", vend des cartes SIM pour connecter les objets. "En voilà une", présente Frédéric de Mont-Serrat, "elle ressemble exactement à la carte que vous voyez dans vos téléphones".
Le directeur financier de Matooma est partisan de la 5G : "c'est une opportunité rare et assez fantastique. De plus en plus d'applications demandent des débits très importants, par exemple la vidéosurveillance avec des caméras haute définition. Certaines ont aussi besoin de latence, de temps de réaction très faible.Typiquement, pour une voiture connectée en permanence avec des centres d'analyse du trafic pour savoir si la voiture doit freiner, tourner à droite ou à gauche, il faut des temps de latence très faible. Pareil si vous pilotez une opération à cœur ouvert à 2000 kilomètres, avec des joysticks, il faut vraiment s'assurer que la latence soit de l'ordre de la milliseconde et non pas de 25 ou 40 millisecondes comme on a avec la 4G aujourd'hui". Mais Frédéric de Mont-Serrat, s'il défend avec passion l'arrivée de la 5G, a aussi conscience des zones d'ombre qui l'entourent : "il faut rester très prudent et ne pas considérer que ça n'aura jamais aucun impact sur rien".
A Montpellier, le maire socialiste, Mickaël Delafosse, a été élu avec le soutien des écologistes. Mais il n'a pas, comme les maires de Bordeaux, Tours ou Lyon, réclamé un moratoire sur la 5G. Pourquoi ? Lors d'un débat public, organisé cette semaine dans la ville par Europe Ecologie les Verts, un élu vert, Stéphane Jouault, adjoint à la biodiversité et à la nature en ville, se fait interpeller par les participants. Ils sont ce soir-là, au plus fort de la fréquentation, une soixantaine, la plupart assez âgés. "Si je peux dire un mot... commence-t-il. "C'est un sujet très nouveau, même pour les élus. La plupart des élus n'en ont quasiment jamais entendu parler !"__.
A ces mots, une partie de la salle s'agace : "ça veut dire qu'ils sont nuls alors !". "Ce n'est pas qu'ils sont nuls, répond calmement Stéphane Jouault, mais comme il n'y a pas eu de débat, il faut un peu de temps... Les choses se font petit à petit". Alexandre Moisescot, qui a récemment organisé une parade de " zombies" dans les rues de Montpellier, pour dénoncer l'arrivée de la 5G, le secoue un peu plus : "toi tu dis "on est élu mais il faut laisser le temps au temps"... mais je suis désolé, si la 5G est active en décembre vous n'avez pas le temps ! Vous le chopez, Delafosse, et vous lui expliquez, quoi... On ne va pas faire une pétition quand même : vous êtes au conseil municipal !".
"C'est un choix de société que nous avons à faire"
A la tribune, l'invité de cette soirée, c'est Stéphen Kerckhove, délégué général de l'association Agir contre l'Environnement, qui a lancé la pétition "Stop à la 5G". Il réclame un vrai débat public, national, sur le sujet. Devant lui, dans ses mains, une brosse à dents connectée. "Cette brosse à dents, elle est développée pour savoir si vous lavez bien toutes les dents ! On nage dans le monde de Kafka ! La couche connectée... je vais bientôt la recevoir chez moi... C'est juste pour éviter aux parents de changer leurs enfants régulièrement... au secours ! C'est un choix de société que nous avons à faire". Il boit un verre d'eau et poursuit : "l'impact écologique de la 5G, ça va être les objets connectés. Quel est l'impact énergétique de tous ces objets ? On n'en sait fichtre rien : l'enjeu, et c'est un terrain glissant, c'est de dire quel est le bien, quel est le mal en terme de technologie... mais qu'une technologie ne soit jamais soumise au crash test démocratique, c'est insupportable. Les écolos apparaissent toujours comme les oiseaux de mauvais augure, en rappelant deux trois évidences. Mais nous ne pourrons pas continuer à extraire des métaux rares au rythme où on va et même l'amplifier : ça ne tient pas !". La salle, remplie de militants et d'habitants de Montpellier et de villages alentours, applaudit.
Ce soir-là, tous les arguments des "anti-5G" sont épluchés. Consommation énergétique. Doutes sur l’impact sanitaire, sur la sécurité et la protection des données. Arguments que balaye, Arnaud Julien, secrétaire départemental Les Républicains dans l’Hérault. "Je suis d'accord pour le débat. En démocratie, on doit pouvoir s'exprimer. Mais il ne faut pas non plus perdre de temps par rapport à d'autres pays. Il ne faudrait quand même pas que la peste verte nous empêche d'avancer. C'est un combat purement idéologique.
A 20 km seulement de là, à Montaud, village de 1000 âmes, entouré de garrigue, de bois et de vignes, les habitants ont d'autres préoccupations. Ici, la 4G vient juste d’arriver. C’est officiel depuis quelques jours. Luka, 20 ans, montre avec un plaisir certain, une vidéo Youtube : elle se lit parfaitement, et c'est nouveau : "je peux la regarder tranquillement, dans mon jardin... avant, ça je ne pouvais pas le faire !". Maintenant, ici, plus que la 5G, c’est la fibre qui est espérée. Car le wifi fonctionne toujours très mal. La ligne fixe du téléphone est incertaine. Regarder un film ou travailler sur son ordinateur demande beaucoup beaucoup de patience à Gilles : " en fait, moi, ce n'est pas le problème d'internet : je n'ai même pas le téléphone ! J'entends ici ou là, qu'il ne faut pas revenir au temps des Amish ou à la lampe à pétrole... mais moi ça fait longtemps que j'y suis ! Heureusement qu'on garde de l'humour dans nos villages...". Cathy, assise à côté de lui sur un banc, près de la mairie, rigole. Mais les difficultés se renforcent avec le télétravail : "une personne de ma famille travaille chez moi en ce moment. Elle avait un rendez-vous via zoom, ça ne passait plus. Elle a dû arrêter ! C'est une calamité".
Joël Raymond, le maire de Montaud, aimerait, avant de parler de 5G, que les territoires soient égaux face à la technologie, l'accès au téléphone et à internet : "On a dix ans de retard. Il y a encore beaucoup de territoires qui ne sont pas couverts par rapport au téléphone mobile. La 5G, vu le temps qu'on a mis pour avoir ne serait-ce que la 3G, je pense que si on en bénéficie, je ne le verrai pas !" Il a 48 ans. "Je suis comme Saint-Thomas, je ne crois que ce que je vois".
Voilà encore un point d’opposition entre pro et anti 5G. La technologie permettra-t-elle de réduire la fracture numérique ? Ceux qui défendent la 5G le promettent. Ses détracteurs n'y croient pas une seconde. Les opérateurs tentent en tout cas déjà de faire passer un message : si la vente aux enchères des fréquences, fin septembre, atteint des sommes pharaoniques, ils risquent de manquer d'argent pour couvrir tout le territoire.
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