

Depuis lundi soir, les autorités ne peuvent plus expulser les locataires de leur logement, pour les cinq mois à venir. Un répit pour ceux qui sont passés entre les gouttes.
C'est une date importante pour les locataires les plus précaires : comme chaque année, à partir de ce 1er novembre et pour cinq mois, les autorités ne peuvent plus expulser les locataires de leur logement, et ce même en cas d'impayé. Et comme chaque année, juste avant la trêve, les bailleurs font pression sur l'Etat pour se débarrasser de leurs locataires endettés.
"Les gens subissent"
Résultat : des expulsions à tour de bras. "Le 24 octobre à 8h du matin, la police est venue en force, armée de boucliers anti-projectiles, de matraques, de tasers, de flashballs. Ils ont défoncé la porte et ont dit 'Expulsion, vous devez sortir'", raconte Francesca. Depuis quelques années, elle ne payait plus le loyer de son logement déclaré insalubre par la préfecture. "Nous sommes cinq personnes à la rue, on ne nous a proposé aucune solution d'hébergement. Lorsque j'ai demandé au commissaire ce qu'il faisait pour notre hébergement, il m'a répondu que je n'avais qu'à me débrouiller".
"Rien ni personne ne nous a donné de solution. Je suis épuisée, je ne sais plus ce qu'il faut faire".
Même désespoir pour Sonia, agent contractuelle de la ville de Paris, reconnue Dalo (Droit au logement opposable), c'est-à-dire prioritaire au logement, et pourtant mise à la rue mercredi dernier avec sa petite fille de neuf ans. "Quand la trêve hivernale est arrivée, je me suis dit qu'ils tiendraient compte de l'horreur qui arriverait si jamais on se retrouvait sans logement", explique-t-elle. "Devant mon enfant, ils ont eu le courage d'appeler les flics pour me balancer dehors. Ils m'ont demandé d'appeler le 115, qui ne pouvait rien faire pour moi. C'est scandaleux. Les gens subissent et crèvent dans la rue". Tout ce qu'on a proposé à Sonia pour l'instant, c'est une chambre d'hôtel, insalubre, et très loin de l'école de sa fille.
14.000 ménages à la rue
Sonia et Francesca ont toutes deux frappé à la porte du DAL, l'association de droit au logement. Tout comme la fondation Abbé Pierre, le DAL dresse un bilan bien sombre : en 2015, les expulsions manu militari ont explosé : +24%, soit 14.000 ménages mis à la rue, et de moins en moins de solutions pour les héberger.
"Quand on appelle le 115, le numéro d'urgence du Samu Social pour avoir un toit au-dessus de la tête pour une nuit, une fois sur deux on n'a aucune réponse. Il y a un engorgement total de toutes les structures, sans même parler des logements sociaux", explique Manuel Domergue, directeur des études de la fondation Abbé Pierre. "Il y a deux millions de ménages qui attendent un logement social, donc évidemment les 14.000 ménages expulsés ne passeront pas forcément avant les autres, et vont peut-être attendre longtemps pour avoir un logement social. Et ce même quand l'Etat lui-même, à travers le Droit au logement opposable, les déclare prioritaires au logement car ils risquent d'être expulsés... c'est le même Etat qui les expulse au même moment".
Les associations réclament donc à l'Etat un changement radical de politique : prévenir les expulsions, pour laisser aux familles le temps de se reloger. "On a les solutions, il faut juste la volonté et les moyens de les mettre en oeuvre. Cette prévention coûterait beaucoup moins cher à la collectivité que le coût des expulsions et de ses conséquences", assure Marie Rothan, responsable de la plateforme Allô Expulsion à la fondation Abbé Pierre.
Campagne de réquisition
Pour ceux qui sont passés au travers des expulsions avant la trêve, c'est le moment de lancer les procédures pour se faire aider au plus vite et éviter une expulsion au printemps. La trêve, c'est aussi le début de la campagne de réquisition pour le DAL. "On va faire une tournée des immeubles vides, et on invite les habitants, dans leurs quartiers, à nous communiquer les adresses d'immeubles vides qu'ils connaissent et qui pourraient être utilisés pour héberger des personnes sans logis", explique le porte-parole de l'association, Jean-Baptiste Eyraud.
Ces listes d'immeubles vides seront envoyées par le DAL au ministères du Logement et de la Justice. En France, deux millions et demi de logements sont vacants.
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