Belfort : "En trente secondes, un travail pédagogique de longue haleine a été balayé"

 La devise "Liberté, égalité, fraternité" devant le groupe scolaire Pergaud, à Belfort
 La devise "Liberté, égalité, fraternité" devant le groupe scolaire Pergaud, à Belfort  ©Radio France - Julie Pietri
La devise "Liberté, égalité, fraternité" devant le groupe scolaire Pergaud, à Belfort ©Radio France - Julie Pietri
La devise "Liberté, égalité, fraternité" devant le groupe scolaire Pergaud, à Belfort ©Radio France - Julie Pietri
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C'est à Belfort que sont scolarisés les enfants présents vendredi dernier au Conseil Régional de Bourgogne-Franche-Comté. Ce jour là, une mère de famille portant le voile a été pointée du doigt et humiliée devant son fils par un élu RN. Dans cette ville de 50 000 habitants, c'est la consternation.

C'est une scène dont on parle depuis près d’une semaine. Vendredi dernier, au Conseil Régional de Bourgogne-Franche-Comté, une jeune femme voilée, accompagne son fils et d’autres enfants en sortie scolaire. Un élu du Rassemblement National demande qu’elle sorte en invoquant la laïcité, au mépris du droit. Car rien n’obligeait cette femme à quitter la salle. 

C’est sur cette affaire que nous revenons aujourd'hui : loin des discours politiques, mais au cœur de la ville de Belfort, où sont scolarisés les enfants présents ce jour-là.

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Le jour à peine levé, le ballet commence. À Belfort, quartier des Résidences, quartier populaire, quelques barres d’immeubles comme paysage, des parents amènent leurs enfants à l’école. C’est ici, au groupe scolaire Pergaud, que chaque jour, Fatima dépose son fils. Elle, ne parle pas à la presse. Son visage a déjà été diffusé partout. Elle ne souhaite pas être exposée d’avantage. Mais cette femme, qui traverse en ce moment des difficultés personnelles, est appréciée des enseignants qui l’ont côtoyée. "Femme investie". "Solide". "Qui se bat pour sa famille". Une habituée des sorties scolaires sans encombres. 

L'école élémentaire Pergaud, à Belfort
L'école élémentaire Pergaud, à Belfort
© Radio France - Julie Pietri

Dans une entretien donné au CCIF, Collectif contre l'Islamophobie en France, elle explique comment elle a réussi à garder son calme lors de l'invective : "Si moi je panique, les enfants auraient été encore plus traumatisés". 

J'ai senti un rejet que je n'avais pas senti avant. 

"Ce n'est pas juste, ça fait mal au cœur" commente, devant les grilles de l'école, Asma, deux enfants scolarisés à Pergaud. "J'ai déjà fait des sorties scolaires avec mon foulard : je n'ai pas eu de problèmes, je n'ai jamais vu ça. C'est la haine ! On est Liberté, Egalité, Fraternité normalement il n'y a pas ça..." À ce moment là, Sylvia, mère de quatre enfants, les cheveux découverts, s'approche pour intervenir : "Je suis musulmane, je trouve malheureux qu'on se prenne encore la tête pour un vêtement. Liberté, Egalité, Fraternité... Non... C'est une fausse publicité. Je suis désolée mais un élu n'a pas le droit de me discréditer dans mon rôle de maman, dans mes droits, devant mon enfant et peu importe son statut". 

Au delà des choix, d'abord la loi

Sur cette question du droit, il n'y a aucun doute, aucune ambiguïté insiste Sandrine Claude, présidente de la FCPE du Territoire de Belfort, Fédération de parents qui a récemment défendu la présence de femmes portant le voile lors des sorties scolaires : "La position c'est la loi. Loi qui autorise à des mamans qui portent un foulard à accompagner une sortie scolaire. Il n'y a pas d'autres positions à avoir. Qu'on soit d'accord ou pas avec le choix de ces femmes de porter un foulard, c'est hors propos. On part vers un système qui va dérailler à un moment donné : on ne peut pas fermer la porte aux parents. 

Et ce qu'il est navrant aussi de constater, c'est qu'en trente secondes, un travail de longue haleine mené par les enseignants et les enfants a juste été balayé !

Car les élèves des trois écoles de quartiers prioritaires qui sont venus observer une séance du Conseil Régional ce jour-là étaient en plein travail pédagogique sur les institutions et la République. Un projet monté par une maison de Quartier et financé par l’État et le Conseil Régional. Peggy Goepfert est co-secrétaire du syndicat enseignant SNUIPP dans le territoire de Belfort et Directrice d'école :  "Quelle image ils vont avoir ? Ils avaient un projet sur la démocratie, c'était la conclusion du projet. Quelle image ils peuvent avoir de la démocratie, du monde politique, est-ce qu'on va pouvoir leur donner envie de voter, de prendre part aux décisions ? Avec ce qu'ils ont vécu c'est difficile. Il y a du chemin à faire". 

Peggy Goepfert, membre du Snuipp 90
Peggy Goepfert, membre du Snuipp 90
© Radio France - Julie Pietri

Il faudra aussi, dit-elle, réparer ce qui a été abîme entre les familles et l’école. La confiance des parents en l’Institution. Un travail long et indispensable à la réussite des enfants. Quant à la présence de femmes voilées lors des sorties, c’est non seulement légal insiste-t-elle encore. Mais sans ces femmes, il n’y aurait plus de sorties scolaires dans certains quartiers. 

Le maire de Belfort, Damien Meslot, étiqueté Les Républicains se dit surpris du déferlement médiatique et des prises de positions politiques à la chaîne : "Nous n'avons pas à imposer cela aux enfants. Si on n'y prend pas garde, cela peut créer des cassures, des tensions qui jusqu'à présent n'existent pas. Donc mon rôle de maire c'est aussi de ramener les choses à leurs justes proportions et de permettre que la vie continue à bien se passer à Belfort". 

L'élu Rassemblement National, à l'origine de ces énièmes débats, assure ne rien avoir prémédité. Ce jour là, Julien Odoul dit avoir simplement vu cette femme, et saisi l’occasion. 

Mais il a réussi à relancer un débat politique jamais vraiment éteint sur le voile. Les Républicains veulent une nouvelle fois modifier la loi et interdire les signes religieux lors des sorties scolaires. Hier, Edouard Philippe s’y est dit opposé.

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