Parachuté des Hauts-de-Seine pour les municipales de 2014, Marc-Étienne Lansade multiplie les projets immobiliers dans la commune du Golfe de Saint-Tropez, au grand dam de l’opposition, qui espérait provoquer des élections anticipées, avant de voir l’un des siens le rallier.
“La première fois qu’il a débarqué à Cogolin, c’était en Porsche et en Ray Ban, on l’a pas senti du tout mais il fallait faire avec”, explique un historique du FN dans le Var, qui a depuis lâché le Maire, et au passage, le FN.
Très proche de Marion Maréchal-Le Pen, Marc-Étienne Lansade était aussi adoubé par Le Pen père et fille, envoyé par le siège parisien du FN pour surfer sur la vague de mécontentement liée aux déboires de l’équipe sortante et faire passer la mairie sous les couleurs du Front national. Pari réussi.
Dès les premiers mois de son mandat, le Maire bling-bling, qui assume d’être un fêtard et qu’on croise dans les clubs branchés de Saint-Tropez ou Ramatuelle, se fait remarquer. La salle des mariages de la mairie ? Rebaptisée au nom de la fille de la nièce Le Pen. Le camp de Roms installé dans la commune ? Détruit devant l’objectif d’une caméra, en précisant “heureusement, vous n’avez pas l’odeur”. Le spectacle de fin d’année d’une école avec la chanson Aïcha ? Il menace de couper les subventions, selon des parents d’élèves. Lui dément et parle de “procès d’intention” et “de pure fantaisie”.
Marc-Étienne Lansade commence aussi à tenir ses promesses de campagne : renforcement des effectifs de la police municipale, baisse des impôts locaux et animations. De quoi sérieusement peser sur le budget de la petite commune de 12 000 habitants, où logent surtout touristes et résidents qui ne peuvent s’offrir Saint-Tropez. Qu’à cela ne tienne, Marc-Étienne Lansade a de grands projets pour faire entrer de l’argent dans les caisses de Cogolin, lui qui a monté plusieurs sociétés spécialisées dans l’immobilier et le BTP, qui est passé par la Croatie pour tenir un bar, qui a développé ses réseaux à Levallois-Perret, chez les Balkany, ou à Saint-Cloud, chez les Le Pen.
En arrivant dans la commune du Var, il est d’ailleurs venu avec un conseiller spécial en urbanisme. Un poids lourd : Jean-Marc Smadja, cousin d’Isabelle Balkany, ancien directeur de la Société d’économie mixte de Levallois-Perret, celle qui a bétonné la commune des Hauts-de-Seine et qui était au cœur du système Balkany. Depuis trois ans, Marc-Étienne Lansade multiplie donc les projets immobiliers. “Surtout une grande braderie”, estime Michel Dallari, le chef de l’opposition de droite au conseil municipal.
Tout ce qui peut se vendre, il va le vendre. Tout l’immobilier qui peut se construire sur un terrain communal qu’il aura vendu, il le fera.
Quand la commune rachète une maison de retraite, c’est pour la revendre à une société de Levallois-Perret qui va l’exploiter. Quand elle installe des feux de signalisation, la maison mère de la société est à Levallois-Perret. Quand elle loue un terrain de 13 hectares en bord de mer, il revient à un inconnu à Cogolin, Jean-Pierre Goldberger, qui crée pour l’occasion une société d’exploitation, Marina Paradise, et sous-loue à un professionnel du tourisme, en prenant au passage une belle marge que la Chambre régionale des comptes a déplorée. Le prestataire emploie aussi le gérant de l’Epi Club de Ramatuelle, Farshad Forouzandeh, proche de Marc-Étienne Lansade. Quand la commune accorde la concession d’un restaurant de plage, elle choisit Marie-Laurence Guillemard, que Monsieur le Maire marie plus tard avec Farshad Forouzandeh.
“On a découvert en cherchant bien que toutes ces sociétés étaient très proches les unes des autres à Paris. M. Golberger a une agence de voyage rue Malassis, dans le 15e arrondissement. En face, Mme Guillemard avait un restaurant, La Bonne Chaise, et, deux rues plus loin, c’est le siège social de l’Epi Club de M. Forouzandeh”, explique Francis José Maria, dont l’Association Place Publique enquête depuis trois ans pour mettre en lumière les pratiques et les réseaux du maire.
“Ce noyau resserré de personnes a obtenu les baux et contrats sur le littoral de Cogolin, sans la moindre transparence, la moindre mise en concurrence ou s’il y en avait une, c’était fictif”, ajoute le septuagénaire, qui décrit un Marc-Étienne Lansade “venu faire du pognon, au détriment de l’intérêt général de la commune”.
“Je mets au défi qui que ce soit de trouver la moindre trace d’une rencontre ou d’une société antérieure à mon élection”, rétorque le maire mis en cause. “Les gens qui sont ici, si j’ai des relations amicales avec elles que je ne cache pas, elles sont nées après nos relations commerciales, ce n’est pas du copinage”, insiste-t-il.
Jusqu’à présent, aucun lien direct n’a été établi pour accuser le maire d’une quelconque collusion. “Les méthodes laissent planer le doute”, estime Michel Dallari, le chef de l’opposition, qui souligne que ces investisseurs parisiens sont invisibles à Cogolin, à l’exception de Jean-Marc Smadja “quand il y a un conseil municipal sur une affaire immobilière importante”.
Pour avoir des rapports financiers, des études approfondies, il faut qu’on réclame à chaque conseil, continuellement. Certains sont communiqués, pour d’autres, ils ne répondent pas et pour d’autres encore, ils disent que ce n’est pas possible.
Au prochain conseil municipal, le 14 décembre, la majorité du maire entérinera la vente de plusieurs biens de la commune, notamment un terrain rarissime de 10 hectares, en bord de mer. Baptisé “Yotel” par les habitants, “Hippodrome” par le maire, il va être cédé à la Cogedim “à un prix défiant toute concurrence, pour un programme initial de 1 200 logements, mais avec saucissonnages du terrain pour éviter les études d’impact et faciliter les permis de construire”, explique l’association Place Publique, qui a alerté la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal). Dans les années 1980-1990, la Cogedim était déjà l’un des principaux bétonneurs de Levallois-Perret, impliquée dans le système Balkany. Certains de ses dirigeants avaient même été poursuivis pour un système de fausses factures dans lequel on retrouvait aussi la Société d’économie mixte de Levallois-Perret, dirigée un temps par M. Smadja.
Le port de Cogolin, un gâteau à 70 millions d’euros
La préfecture surveille, notamment via le contrôle de légalité des actes du maire. Mais si elle le retoque parfois, elle ne va pour l’instant pas au-delà. De leur côté, l’association Place Publique et des Cogolinois jouent les lanceurs d’alerte pour dénoncer et attaquer certaines décisions ou permis de construire. Reste que la justice administrative est lente, alors que le maire avance au pas de charge. Dernier projet : le port de Cogolin, un gros gâteau de 70 millions d’euros, grâce à sa position idéale, à 3 kilomètres de Saint-Tropez, 50 de Cannes et 80 de Monaco.
En moins d’un an, Marc-Étienne Lansade a résilié la concession du port, obtenu la liquidation de la société anonyme qui le gérait et la fin des poursuites qu’elle avait intentées contre la commune “en menaçant de mettre le nez dans les affaires opaques de la société”, explique un habitant. Il a fait créer une régie municipale pour gérer le port. Elle entrera en fonction le 1er janvier, sera dirigée par son directeur de cabinet et n’aura aucun compte à rendre au conseil municipal de Cogolin.
“Il n’y a aucune étude récente sur l’état du port, sur la dépollution, le désensablement, pas de prévisions financières claires sur les travaux prévus pour accueillir moins de bateaux – 1 200 au lieu de 1 600 – mais des bateaux plus gros”, souligne l’Association des amodiataires et usagers du port de Cogolin, qui s’est créée pour défendre les détenteurs de places lésés par cette opération.
“C’est un port qui a 48 ans, donc il faut tout redéfinir”, répond le maire, qui veut “générer de la plus-value” dans ce lieu “évidemment très touristique”. “On a pris cette décision pour accueillir les gens qui ont des yachts parce que c’est la grande plaisance qui crée de la valeur ajoutée. Il fallait optimiser, empêcher les bateaux ventouses, tout ça est transparent”, affirme-t-il, en précisant que les Cogolinois disposent d’un petit port indépendant à l’embouchure de la rivière Giscle.
Un avis loin d’être partagé par tous les habitants. Car pour commercialiser les garanties d’usages (les places) dans le futur nouveau port, la commune a retenu la société Yin et Yang, spécialisée dans le prêt-à-porter, la chaussure et les sites internet, avant de changer son objet social pour se spécialiser dans la commercialisation de places de port. “Tout s’est vendu en quelques jours, en plein été, dans un flou total. On est sur liste d’attente, on devait avoir des nouvelles en septembre, puis octobre, puis novembre, c’est totalement ubuesque”, décrit un usager du port depuis des décennies.
Introuvable sur place, l’un des dirigeants de Yin et Yang s’interroge par téléphone : “Quand on est dans le commerce, on n’a pas le droit d’avoir différentes activités ? (…) Nous, on nous a appelés en appel d’offres pour une commercialisation. Ça prouve qu’on a des qualités commerciales, et nous nous ne sommes que des commerciaux”, explique l’homme d’affaires basé dans la commune voisine de Sainte-Maxime. “Détracteur est une chose, réalité est autre chose”, ajoute-t-il, quand on lui explique que certains Cogolinois doutent de la transparence de ce marché.
Contacté également, l’avocat de Yin et Yang, basé à Toulon, s’agace aussi de ces questions, alors que la société “s’est contentée de répondre à un appel d’offres et l’a remporté”. Il ironise sur les perdants, rappelle que leur recours a été rejeté par la Tribunal administratif sans préciser qu’ils ont fait appel. Il promet aussi une rencontre si l’affaire passait sur le terrain judiciaire.
C’est ce qui se passe, car en plus d’attaquer la procédure d’appel d’offres devant la justice administrative, la Société immobilière et financière de l’armement, qui a perdu le marché, vient de porter plainte au pénal pour atteinte à l’égalité des candidats à un marché public, favoritisme et manipulation des critères pour avantager Yin et Yang. “Je n’ai pas été retenu malgré des prix 40 % moins chers, malgré mes connaissances dans le monde du nautisme, qui vont du marchand de bateau au portuaire. Ces gens sont complètement inconnus dans ce métier , explique Denis Arcostanzo, patron de cette société, en rappelant les 6 à 8 millions d’euros de commission engrangés par la société Yin et Yang.
Majorité en sursis
Après trois ans de mandat, Marc-Étienne Lansade est affaibli par onze démissions, un décès et plusieurs retraits d’élus qui n’ont pas voulu siéger, mais il garde sa majorité. Pour provoquer des élections anticipées, l’opposition avait prévu la semaine dernière de démissionner en bloc, empêchant ainsi la tenue du prochain conseil municipal, au nom de la règle du tiers présent. Le Préfet aurait été contraint d’organiser un nouveau scrutin, mais Marc-Étienne Lansade a réussi à retourner un élu de droite, Erwan de Kersaint Gilly, qui n’a pas souhaité expliquer son revirement.
Le conseil municipal du 14 décembre aura donc bien lieu, au grand regret de Francis José Maria, de Place Publique, qui décrit un maire “obligé de faire passer ses projets pour boucher un trou de 7 millions d’euros dans un budget dont le manque de sincérité a été dénoncé”. Amer de ne pas avoir vu la trahison venir de son camps, le chef de l’opposition de droite, Michel Dallari, se demande lui comment le maire “les tient pour qu’ils ne démissionnent pas”. “Qu’est-ce qu’il y a derrière, quels sont les arrangements ? Des terrains qui n’étaient pas constructibles mais qui pourraient le devenir, et puis d’autres choses, qui remontent aux temps des romains : on amuse le peuple et tout va bien”, ajoute-t-il. Le maire, lui, botte en touche sur cet accord avec un élu de droite ; il a quitté le FN cet été, avec celle qui l’y avait amené, Marion Maréchal-Le Pen.
► EN SAVOIR PLUS | Le site de la mairie de Cogolin, avec son bulletin d’information, et le site de l’association Place Publique qui met en lumière les pratiques et les réseaux du maire depuis son élection.
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