Les actes xénophobes et racistes défraient la chronique depuis plusieurs décennies dans le football italien. Le président de la Fédération italienne de foot a d'ailleurs proposé d'installer des micros dans les tribunes pour détecter les propos racistes.
Les footballeurs africains ou d'origine africaine sont, en Italie, régulièrement la cible de cris de singe, de lancers de bananes ou encore de banderoles insultantes, peu importe la division. Les instances réagissent, mais le chemin pour assainir le foot italien sera sans doute encore long.
Les dérapages xénophobes, racistes dans les stades de football en Italie n’émeuvent pas plus que cela une partie des Tifosi pour qui "les insultes sont d’abord du folklore qui font partie de la tradition nationale". Les tribunes ne sont pas les seules à être infectées et Claudio Lotito, président de la Lazio Rome a ainsi déclaré au début de l'automne à la sortie d'un conseil fédéral où la question du racisme dans les stades devait être abordée : "L'expression 'buu' [semblable à des cris de singe, NDLR] ne correspond pas toujours à un acte discriminatoire ou raciste. Je me souviens que quand j'étais petit, il y avait souvent des gens qui n'étaient pas de couleur, qui avaient la peau normale, blanche, à qui on faisait 'buu' pour les pousser à manquer le but quand ils arrivaient devant le gardien."
Des dérapages aussi à la télévision italienne pour un ex-consultant de la chaîne sportive Top Calcio 24 : "Le seul moyen de stopper Lukaku, c’est de lui donner dix bananes à manger", avait lancé Luciano Passirani.
"La peur de l’étranger est très présente en Italie. Le football n’échappe pas à ça. On n’est pas encore habitués à voir des joueurs de couleur, même s’il y en a cinq ou six dans notre équipe !"
En Italie, le milieu du football s'est ouvert tardivement à la diversité, notamment aux joueurs africains. "Il y a un phénomène culturel", explique Dominique Courdier, directeur associé de Newstank football, et ancien envoyé spécial de l’Équipe en Italie pendant 15 ans : "L’Italie est un pays d’émigration et est devenu pays d’immigration il y a assez peu de temps. La population noire n’existait pas en Italie dans les années 80. Quand Marcel Desailly est arrivé au Milan AC en 1993, c’était l’un des premiers joueurs noirs à évoluer en Italie".
Le journaliste italien Andréa Silliti de la chaine Sky Sports Italia surenchérit : "La peur de l’étranger est très présente en Italie. Le football n’échappe pas à ça. On n’est pas encore habitués à voir des joueurs de couleur, même s’il y en a cinq ou six dans notre équipe ! Quand c’est dans l’équipe adverse, la chose la plus facile, c’est de faire un chant raciste."
Du déni aux explications alambiquées
Depuis le début de la saison, Romelo Lukaku (Inter Milan) et Franck Kessié (Milan AC) ont déjà été ciblés par des cris de singe. La saison dernière, ce sont Blaise Matuidi, le milieu de terrain français de la Juventus Turin, Kalidou Koulibaly et Moïse Kean, qui avaient été victimes de tels cris, récurrents depuis des années en Italie, sans qu’aucune sanction ne soit prise. "Le grand problème, c’est qu’il y a un déni total, on trouve que ce n’est pas grave", poursuit le journaliste Dominique Courdier. "Les supporters de l’Inter Milan sont capables de dire à Lukaku, leur joueur : mais s’il y a des cris de singe contre toi, c’est parce que les supporters te craignent, ils ont peur que tu marques. Pour régler ce problème, il faut d’abord admettre qu’il y a un problème", estime-t-il_._
"On doit dire non au racisme, sous toutes ses formes, dans le foot et dans la société"
Visiblement, le président de la FIFA, Gianni Infantino l’a compris. Lors de la remise des trophées FIFA The Best, à Milan fin septembre, l’Italo-Suisse a durci le ton et exigé que "le racisme n’existe plus dans les stades car ce n’est plus acceptable. On doit dire non au racisme, sous toutes ses formes, dans le foot et dans la société. Mais on doit aussi le combattre, l’expulser du foot et de la société une bonne fois pour toutes, en Italie et ailleurs".
Depuis début octobre, la Fédération italienne de football et la Ligue de foot italienne ont emboîté le pas à Infantino et annoncé plusieurs mesures que devront respecter les clubs italiens afin de lutter contre les actes xénophobes et racistes. Les mesures peuvent aller de l’arrêt de match temporaire ou total à des rencontres à huis clos pour les clubs coupables.
"Ça avance dans le bon sens, c’est positif", se réjouit le milieu de terrain français de la Juventus Turin, Blaise Matuidi, victime d’insulte raciste lors d’un match à Cagliari la saison dernière. Cette prise de conscience n’est pas illogique pour l'ancien journaliste de l'Equipe. "Les clubs italiens n’oublient pas le business et le foot doit être vendu à des spectateurs et à des télespectateurs. Donc, il y a besoin d’un produit propre. Et de nombreux matches avec des cris de singes dans les tribunes ou autres manifestations xénophobes, ce n’est pas possible. Il y a besoin de nettoyer tout ça, au niveau moral et au niveau business aussi", estime Dominique Courdier.
Des initiatives efficaces mais rares
Aujourd’hui aussi, des initiatives de dirigeants de clubs émergent. Wolfgang Natlacen, franco-italien de 35 ans, a créé un petit club en banlieue de Milan, en 2015, l'AS Velasca, qui évolue aujourd’hui en neuvième division italienne. L’an dernier, il a emmené une quinzaine de joueurs et dirigeants de son club à Soweto en Afrique du Sud, avec notamment la visite du musée de l’Apartheid au programme.
"Je ne savais pas comment les joueurs allaient réagir. Certains avaient peur, notamment ceux qui étaient les plus xénophobes. On est allés là-bas, beaucoup n’étaient jamais allés en Afrique. On a joué contre les Sowetos Stars et, même si on a perdu, ça a été incroyable pendant et après le match. Beaucoup de mes joueurs avait les larmes aux yeux en mangeant tous ensemble, en étant unis tous ensemble. Certains m’ont écrit qu’ils étaient partis avec des préjugés, qu’ils étaient revenus différents et qu’ils avaient été cons !" . L’AS Velasca a prévu d’accueillir les Sud-Africains dans quelques mois, à Milan pour un match retour symbolique.
Pour l’instant, cette initiative n'a pas du tout été saluée par les instances du football italien. Ce qui fait dire à Wolfgang Natlacen, comme à beaucoup d'autres, que le chemin sera long, très long pour assainir les tribunes italiennes.