

Que leur présence inquiète ou rassure, la silhouette de ces policiers dotés de casques aux bandes jaunes est, depuis toujours, associée aux manifestations. Pour la première fois, la presse a été autorisée à participer à l'un des entraînements de deux compagnies républicaines de sécurité.
L'exercice est inédit, les regards des policiers sceptiques, interrogatifs ou amusés. Ce jour-là, la 33e Compagnie républicaine de sécurité (CRS), basée à Reims et la 56e, venue de Montpellier vont devoir composer avec des collègues peu rompus à l'exercice: pour la première fois, des journalistes sont autorisés à assister, et même, par moment, à participer à l'entraînement des ces policiers spécialisés dans le maintien de l'ordre. La nouvelle doctrine en la matière, le "nouveau schéma national du maintien de l'ordre", présenté mi-septembre par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin dit vouloir, désormais, miser sur la transparence.
Une petite révolution, dans la maison Police, plutôt adepte du silence, et qui compte soixante Compagnies républicaines de sécurité réparties dans toute la France, soit un peu plus de 13.000 fonctionnaires. Bertrand Chamoulaud, qui a participé à la rédaction du Nouveau schéma du maintien de l'ordre en tant que conseiller auprès du Directeur général de la police nationale, explique :
"Le métier va évoluer pour que les manifestants et nos concitoyens comprennent quelle est notre action, qu'elle soit mieux comprise et mieux acceptée"
"Cela devrait permettre de comprendre que nous exerçons dans un cadre légal et avec des règles. Si ces règles sont partagées, elles seront d'autant plus acceptées".
Vingt-cinq jours d'entraînement en moyenne
Les CRS s'entraînent en moyenne 25 jours par an. En ce début octobre, les deux compagnies se retrouvent sur un terrain en périphérie de Clermont-Ferrand, dominé par la silhouette du Puy-de-Dôme. Les larges allées désertes sont bordées d'immenses bâtiment désaffectés. Le décor dégagerait une atmosphère de fin du monde, s'il n'y avait ces longues colonnes de véhicules siglés "CRS".
Le scénario du jour est le suivant : protéger une préfecture, alors qu'une manifestation est annoncée dans le secteur. Il fait beau, peu de vent, des conditions idéales, pas toujours représentatives de la réalité. L'entraînement commence par l'attente du cortège. "C'est souvent comme ça, on attend..." note un CRS. Les casques, dont les bandes jaunes sont caractéristiques des CRS, sont accrochés aux ceintures, les boucliers appuyés sur le sol.
Le tout sous le regard d'un policier incarnant "l'autorité habilitée à décider de l'emploi de la force". Systématiquement présent sur le terrain, c'est lui qui est chargé de décider des actions à mener : attendre, en venir aux sommations à quitter les lieux, disperser les manifestants, voire user des armes dites "intermédiaires" (grenades ou le controversé LBD). "En aucun cas on ne va dépasser la mission fixée par l'autorité habilitée à décider de l'emploi de la force ", assure le commandant Eric Davoine, responsable du centre de formation de Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône).

Face aux CRS...leurs collègues, qui endossent le rôle des manifestants. Les heures de face à face lors des mouvements sociaux de ces derniers mois ont visiblement été propices à l'observation : "Ta famille sait ce que tu fais ? Tu n'as pas honte ?! " lance l'un des manifestants du jour à son collègue en tenue. Un autre enchérit : "C'est pour vos droits que l'on se bat ! ", tandis qu'un troisième brandit son téléphone portable devant le cordon de CRS : "Je filme, il n'y a que comme ça qu'on est protégé ! "Le groupe démarre un sit-in devant les policiers, avant d'être délogé, manifestant par manifestant. "Imaginez une température de 35 ou 38 degrés à Paris après un service de cinq, six heures : l'état d 'épuisement est vite arrivé", détaille un formateur, "pour relever un individu, nous sommes à trois, voire quatre fonctionnaires par personne".
"Casques sur la tête !"
Peu à peu, la situation se tend. Les sommations sont lancées, afin de faire partir les manifestants : "Obéissance à la loi, dispersez-vous ! ". Il s'agit de l'une des dernières fois que les fonctionnaires s'entraînent avec ces formules jugées désuètes. Le Nouveau schéma du maintien de l'ordre dit vouloir rendre les ordres plus explicites, en remplaçant notamment la sommation actuelle par "Quittez immédiatement les lieux ". "Une fois que les sommations ont été données, cela légitime l'usage de la force", poursuit le formateur : "Une force proportionnée, mais tout de même légitime".
"Casque sur la tête ! ", ordonne le commandant, sans lequel aucune initiative ne doit être prise. Les CRS travaillent en groupes de cinq : les deux porteurs de bouclier, en première ligne et le regard fixé vers l'avant, leur binôme à l'arrière, chargés de les guider physiquement, et de leur répercuter les ordres du chef de groupe, pas toujours audibles en situation, et, à l'arrière, le chef de groupe, qui est en lien avec le commandant.
Les premiers projectiles fusent vers les policiers. À l'entraînement, les balles de tennis remplacent les pavés et autres bouteilles. " Respirez doucement, ne vous frottez pas les yeux ", conseille un CRS, alors que les gaz lacrymogènes viennent d'être utilisés. Les ordres s'enchaînent, guidés par un principe qu'un commandant nous résume par "montrer sa force pour ne pas avoir à s'en servir " : "Bond en avant ! ", "Marche", "Repli ", le tout rythmé par les coups de sifflets. Qui n'a pas intégré les codes peut vite se retrouver dépassé.
En déplacement 240 jours par an
D'autant que cette discipline et cette coordination ne doivent pas faiblir, quel que soit le contexte, l'intensité des éventuels heurts, et la durée de l'intervention. "Mon record est de 25 heures", raconte le commandant Eric Davoine : "Nous avons la capacité à nous inscrire dans la durée, le personnel est formé là-dessus. Cela demande à la fois une résistance physique et une résistance morale, même si l'on prend des projectiles, afin d'être dans la capacité à ne pas avoir d'actions individuelles. C'est une action collective, qui est décidée par le chef d'unité".
"Actions individuelles": façon pudique de nommer ce que le grand public qualifie plus communément de "dérapages" : "On ne peut jamais s'assurer qu'il ne peut pas y avoir une inconséquence, un geste d'un fonctionnaire, mais c'est quelque chose qu'on limite au possible, et je crois que, jusqu'à maintenant, on a plutôt réussi", juge le formateur de Saintes-Foye-lès-Lyon_. "Si ça arrive, il y a une enquête administrative via l'IGPN, et judiciaire. S'il y a un manquement, le fonctionnaire sera sanctionné."_

Les compagnies républicaines de sécurité sont en déplacement 240 jours par an. Les interventions "à domicile" sont évitées dans la mesure du possible, afin que ces policiers, qui, contrairement aux gendarmes, ne vivent pas en caserne, mais avec les civils, ne se retrouvent à devoir intervenir face à des proches, ou soient indirectement concernés par le conflit en cours (mouvement de colère lors de la fermeture d'une entreprise qui emploierait l'une de leurs connaissances, par exemple). Les compagnies sont l'objet d'une évaluation par an, dans différentes configuration, de la manifestation à l'éventuelle tuerie de masse.
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