Éducateurs de rue, profession en danger ?

France Inter
Publicité
Vienne Isere
Vienne Isere
© Radio France - Claire Chaudière

Les acteurs de la prévention spécialisée sont réunis ces jeudi et vendredi à Créteil pourles Assises nationales du secteur .

Valérie , que France Inter a rencontré en région Rhône-Alpes, préfère ne pas mentionner la ville dans laquelle elle travaille de peur de "se griller" auprès de ses interlocuteurs de terrain. Depuis 12 mois cette éducatrice de rue a vu son métier changer. Au sein de son association, elle est passée, avec un de ses collègues, sur un temps plein de suivi dejeunes signalés par leurs familles comme "radicalisés" . Radicalisés ou plutôt sous emprise , corrige-t-elle.

Publicité

La préfecture nous transmet les coordonnées des familles qui appellent le numéro vert. Au début, on s'est beaucoup questionné sur cette coopération, quinous semblait impossible par rapport à nos principes, et puis on s'est rendu compte qu'on le faisait touten conservant nos missions éducatives . Les éducateurs n'ont jamais été autant regardés, et écoutés...Mais en même tant on supprime des postes ! Il faut qu'on m'explique, raconte Valérie, éducatrice.

Compétence non obligatoire

Et c'est tout le paradoxe, alors que les besoins sont très importants, ces derniers mois auront été des mois d'hécatombe pour la prévention spécialisée , compétence non obligatoire, des conseils départementaux, aux budgets de plus en plus serrés. Jusqu'à moins 50% de subventions sur certains territoires. Parmi les départements très touchés : les Yvelines, le Loiret, la Seine-Maritime, ou encore la Drôme. Dans certaines villes, dont Paris, les coupes ont été évitées in extremis.

La prévention n'a jamais été aussi durement touchée de toute son histoire. Et ça se traduit pour des territoires où il n'y a plus d'éducateurs auprès des jeunes, Anne-Marie Fauvet présidente du Comité National de Liaison de la Prévention Spécialisée.

À Vienne, en Isère, les moins 11% de budget, ajoutés au recentrage des actions sur certains quartiers seulement, et certains jeunes seulement, principalement les mineurs, ont été difficiles à encaisser pour l'association Prévenir . Dans la vallée de la Gère, ancienne route industrielle, aujourd'hui sinistrée, classée quartier prioritaire de la ville, rencontre avec Betty et Stéphane, un duo d'éducateurs inquiets.

On nous demande de nous focaliser sur le décrochage scolaire et l'anti-radicalisation, mais sans mode d'emploi et sans moyen ! L'équipe s'est réduite et on a quitté un quartier. On ne sait pas si on sera encore là dans 6 mois. C'est pourtant ce suivi des jeunes sur le long terme qui va leur permettre à 18, 19, 20 ans, lorsqu'il ont un déclic...de venir frapper à notre porte pour un vrai coup de main, racontent Betty et Stéphane, éducateurs.

Stephane et Betty
Stephane et Betty
© Radio France - Claire Chaudiere

Liens de confiance

Des jeunes qui sont là, chaque jour après l'école dans le local des éducateurs, en face du collège, lieu apparemment incontournable.

On peut discuter de trucs avec les éducateurs qu'on ne peut pas aborder avec nos parents . Ils m'ont fait comprendre que l'école c'est important. Maintenant j'y vais. Faut pas que le local ferme, on vient ici tout le temps, témoignent Inès, Karim, Zora, Taïs.

Il ne faudrait pas non plus, soupirent les éducateurs que ce lien tissé au quotidien avec les jeunes soit anéanti par des soupçons de surveillance. Pas question de devenir des agents de renseignements, comme le souhaitent les pouvoirs publics sur certains secteurs. Le risque est réel, pour le sociologue Marwan Mohamed, qui suit la profession et ses évolutions depuis 2012.

La question de la confiance est primordiale pour les éducateurs. Or sur certains territoires, cette confiance est menacée parce qu'on leur demande de faire un travail de renseignement. Beaucoup résistent mais le risque est réel. A la fragilisation de la prévention spécialisée liées aux institutions et aux réductions budgétaires, s'ajoute aujourd'hui une fragilisation sur les méthodes, le sociologue Marwan Mohamed

Autant de question auxquelles tenteront peut-être de répondre la ministre en charge de la protection de l'enfance Laurence Rossignol et le ministre de la ville Patrick Kanner qui doivent s'adresser ce jeudi aux éducateurs réunis à Créteil.