

Elles sont jeunes, parfois juste majeures, et partout dans le monde, elles bousculent le jeu. Au Chili, Emilia Schneider, 23 ans, incarne le puissant mouvement féministe qui agite le pays depuis deux ans. C'est aussi l'une des rares personnes transgenre connues du grand public, grâce à son engagement politique.
En mai 2018, plus de 100 000 lycéennes et étudiantes, certaines seins nus et cagoulées, manifestent dans les rues de Santiago et des principales villes du Chili. Indignées par plusieurs affaires de violences sexuelles impunies dans les universités, elles lancent une nouvelle vague du féminisme chilien. Un mouvement d'une ampleur inédite depuis la fin de la dictature du général Augusto Pinochet (1973-1990), et qui ne cessera de grandir ensuite.
Parmi ces étudiantes, se trouve Emilia Schneider. Alors en deuxième année de droit à l'Université du Chili, l'une des plus prestigieuses du pays, elle vient de commencer sa transition. À sa naissance, elle a été inscrite comme garçon à l'état civil. Désormais elle s'assume publiquement comme femme, transgenre et a choisi Emilia comme nouveau prénom.
"Une de mes principales peurs était de ne pas pouvoir participer à ce mouvement féministe à cause de ma transition, explique-t-elle depuis chez elle à Santiago, où elle est encore confinée_. Mais finalement cela a été le contraire : le principal soutien que j'ai reçu a justement été de mes amies et camarades féministes, qui m'ont accompagnée sur le plan personnel et sur le plan politique_", assure-t-elle derrière son ordinateur, après une longue journée de conférences-débats en ligne.
Emilia Schneider, première personne transgenre élue à la tête d'un syndicat étudiant au Chili
Les discussions seront parfois houleuses dans les universités, certaines étudiantes ne souhaitant pas laisser les femmes transgenre participer aux assemblées non-mixtes qui se multiplient à ce moment-là. Mais dans sa faculté, Emilia est rapidement choisie comme l'une des porte-parole. Elle devient une figure emblématique du mouvement :
C'est l'événement politique qui m'a le plus marquée, qui a été le plus important pour moi. Et à l'échelle du pays, cela a marqué un point de non retour : le féminisme est devenu une évidence, un sujet de discussion à la maison partout au Chili. C'est entré dans le débat public et les associations féministes et LGBTQI+ se sont multipliées.
Un an plus tard, Emilia Schneider est la première personne transgenre élue à la tête d'un syndicat étudiant au Chili. Elle multiplie les prises de parole publiques, et devient l'une des très rares personnes transgenre interviewées dans les médias grand public. Son parcours fait rapidement d'elle un exemple pour d'autres jeunes trans et membres de la communauté LGBTQI+.
"En l'espace d'un an, j'ai vu plusieurs étudiantes trans suivre l'exemple d'Emilia, lui demander son soutien, et se présenter ensuite à des élections dans leur faculté", témoigne Catalina Guerra, amie de la jeune militante, et syndicaliste étudiante elle aussi :
Elle a ouvert la voie pour d'autres : son exemple pousse d'autres personnes à venir occuper des espaces desquels elles étaient exclues auparavant.

Rompre avec le cycle d'exclusion et de discriminations
Les personnes trans restent très marginalisées au Chili, comme l'a illustré le film Une femme fantastique, interprété par l'actrice transgenre Daniela Vega et récompensé par l'Oscar du meilleur film étranger il y a deux ans. Une reconnaissance internationale qui a aidé à faire adopter une loi sur l'identité de genre dans le pays, alors que le texte était en attente depuis cinq ans au parlement. La nouvelle loi, entrée en vigueur en 2019, permet aux plus de 14 ans de changer de nom et de sexe à l'état civil, sans passer par un tribunal, ni subir un traitement médical.
"C'est un premier pas, c'est vrai, mais les moins de 14 ans sont laissés de côté, laissés dans une grande vulnérabilité", estime Emilia Schneider, qui – avec d'autres – a milité pour l'adoption de cette loi. "Or c'est sur elles et eux que l'on devrait porter tous nos efforts, pour rompre avec ce cycle d'exclusion et de discriminations que nous vivons, nous, les personnes trans", ajoute-t-elle, en référence notamment au harcèlement scolaire souvent subi par les enfants et adolescent.e.s trans, et au nombre important de suicides parmi ces mineur.e.s.
Emilia milite aussi dans un jeune parti de gauche alternative. Sa famille a été marquée par l'assassinat de son arrière-grand-père, le général René Schneider, en 1970, car il refusait l'intervention de l'armée dans la vie politique. Alors commandant en chef de l'armée de terre, il a été assassiné par la CIA et l'extrême-droite chilienne quelques jours avant la prise de fonctions du président socialiste Salvador Allende.
Quand éclate le grand mouvement social contre les inégalités au Chili en octobre dernier, Emilia Schneider s'engage contre les violences policières (qui toucheront des dizaines d'étudiants de son université), et n'hésite pas à critiquer le gouvernement de droite au pouvoir. Elle compte bien continuer la politique et sa vie militante de longues années encore :
Je ne vois pas mon futur sans militer pour les droits des femmes et de la communauté LGBTQI+. Cela fait partie de ma vie, c'est ce qui me rend heureuse. Et je veux y consacrer ma carrière et mon engagement politique.
Elle rêve même de participer à la rédaction d'une nouvelle constitution pour son pays. Grâce au mouvement social d'octobre, les Chiliens ont en effet obtenu l'organisation d'un référendum, pour ou contre l'abandon de la constitution actuelle, héritée de la dictature du général Pinochet. Le scrutin est prévu le 25 octobre prochain.
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