
Aujourd’hui, nous sommes en Italie. Depuis le début de l’année, près de 56 000 migrants ont débarqué par la mer sur les côtes italiennes. La plupart d’entre eux viennent de Syrie, d’Érythrée et souhaitent rejoindre des proches installés dans d’autres pays de l’UE (en Allemagne ou en Suède).
Voici sept ans en Libye**, Aweys** est monté sur cette barque de quatre mètres, avec 45 personnes, mais dans son souvenir, c’est comme si c’était hier : 24 heures de mer et d’angoisse .
On a payé les passeurs, 1000 dollars chacun ; les trafiquants nous ont fait monter sur la barque et nous ont dit « pilotez vous-mêmes ». Et on a piloté nous-mêmes. Aucun d’entre nous ne connaissait la mer. Moi, je ne sais même pas nager. Mais ça ne m’inquiétait pas de perdre la vie, parce que je n’avais rien à perdre. Là où j’étais en Libye : c’était la mort assurée. C’est pour ça qu’on a risqué notre vie pour la sauve r. C’est pas qu’on était idiots ou qu’on n’avait rien compris. On savait très bien qu’il y avait un risque, on ne savait pas naviguer, on ne savait pas où on allait. On se disait : "si on reste ici, on meurt. Si on part, on meurt, OU on survit ."Ils nous ont dit : «Allez tout droit, dans cette direction, vous arriverez à Lampedusa . ». Et c’était vrai. On est arrivé à Lampedusa . Mais aucun de nous ne savait où on débarquait : en Tunisie, à Malte ? Finalement, on a débarqué, on a demandé aux gens si on était à Lampedusa ou non. Et oui, ils nous ont répondu qu’on était à Lampedusa .
Aweys a dû fuir son pays en 2007, condamné à mort par les milices islamistes d’Al shabab. Il quitte la Somalie, sans savoir à quoi s’attendre.
Je fuyais, je ne savais rien, je ne savais pas où aller, je marchais, c’est tout. Je savais ce qu’il y avait derrière moi : la mort. Fuir a été ma seule issue, je ne l’ai pas choisie. J’ai traversé le désert, ça a été difficile, long, dangereux. Beaucoup d’amis qui étaient avec moi, y sont morts. Et moi j’ai survécu, grâce à Dieu qui m’a sauvé. J’ai traversé beaucoup de pays. Le Kenya, l’Ouganda, le Soudan, la Libye. Je ne m’y sentais pas bien, et alors j’ai décidé de poursuivre encore. C’est pour ça que je suis arrivé ici en Italie, je ne m’y trouvais pas bien non plus, et j’ai voulu aller encore plus loin. Mais en fait, notre voyage s’arrête ici. Or, on ne veut pas qu’il s’arrête ici. On veut que notre voyage s’achève là on se trouve bien, là où on peut vivre .
Car dans l’Italie en crise, explique Aweys, impossible de trouver du travail . Et puis l’État est inexistant. A peine un lit en dortoir dans les centres d’accueil, qui ne proposent même pas un endroit sous clef où mettre ses effets personnels.
J’ai dormi dans la rue pendant trois ans, j’allais manger à la Caritas. Ceux qui n’ont pas vécu cette situation n’arrivent pas à comprendre. C’est difficile de l’expliquer. En Italie, les politiciens disent qu’on donne de l’argent aux migrants forcés, qu’ils dorment en centre d’accueil, qu’ils ont tout ce qu’il faut. Tout ça c’est des mensonges. Personne ne nous donne ce qu’ils disent, on n’a même pas un ticket de bus .
Aweys avait finalement rejoint des amis en Hollande. Là bas, il travaillait dans une boulangerie, vivait bien. Mais l’asile lui ayant été accordé en Italie, il s’est retrouvé clandestin aux Pays Bas , et s’est fait expulser. Retour donc, à la case Italie. Aujourd’hui, cet homme élégant et intelligent, a un travail, trouvé par les sœurs du Sacré-Cœur. Il est gardien de nuit dans un hôtel, il a un contrat, un logement, des papiers en règle. Mais depuis sept ans, il n’a pas vu sa famille, restée en Somalie.
J’étais riche en Somalie, riche, riche, riche. J’étais footballeur, je gagnais bien, j’avais deux magasins, qui vendaient des cosmétiques et des CD de musique, il s’appelait « Studio Alba », je m’amusais, je vivais très à l’aise en Somalie. Tout cet argent a disparu, je n’ai plus rien. Mais cet argent m’a aidé à faire le voyage. En un sens il m’a sauvé la vie, c’est vrai ! Il m’a sauvé.
Aujourd'hui, Aweys a beaucoup d’amis, des migrants forcés comme lui, mais aussi des amis italiens. Il entraîne une équipe de football, participe à des tournois. Et caresse un rêve : retourner en Somalie .
J’en rêve, bien sûr. Si la situation change en Somalie et qu’elle devient un pays où on peut vivre, où on peut rester, j’y retourne, même si je n’ai pas un seul euro en poche. Parce que je peux retourner en Somalie, et créer tellement de choses ! Je sais vivre en Somalie. Je rêve, mais je ne vois pas quand ce rêve pourra se réaliser. Je ne pense pas que ce sera facile. Il faudra du temps pour que la situation s’améliore. Mais j’espère.