Le pape François a été élu (entre autres) pour faire le ménage dans les finances du Vatican. Sauf que sept ans après son élection, les scandales financiers n’ont pas cessé, les révélations non plus ! Pourquoi est-ce si compliqué ? François s’y prend-il mal ? Plusieurs audiences et procès sont prévus en 2021.
Nous sommes le 19 décembre 2018 dans une chambre du luxueux hôtel Bulgari à Milan. Trois hommes discutent et se disputent à propos d'un investissement du Vatican qui fera scandale un an plus tard : les immeubles de luxe en plein Londres. Ils sont enregistrés à leur insu. Le premier, Fabrizio Tirabassi, est un cadre laïc de la Secrétairerie d'État du Vatican – le gouvernement central de l'Église – ; le deuxième, Gianluigi Torzi, est courtier – un intermédiaire financier – et le troisième est le gestionnaire historique des finances du Saint-Siège, Enrico Crasso. Le Corriere Della Sera a révélé ces enregistrements.
On entend notamment Fabrizio Tirabassi s’adressant à Gianluigi Torzi : « Il est possible que d'ici au début de l'année prochaine tout soit centralisé. Cela signifie que nous perdons le contrôle en tant que Secrétairerie d’état, explique l’employé du Vatican. Ce n'est pas bon pour toi, Gianluigi ! » « Comment pourrait-on reconnaître le travail que tu as fait ? » lui demande-t-il.
Gianluigi Torzi semble surpris et répond : « Et je m’en vais ? Complètement ? » Puis, très vite, il vient à réclamer de l’argent: « Bon, d’accord, fais-moi sortir… Mais Fabbrizio, je veux être payé. Je ne pars pas comme ça. Je pensais gérer pendant trois au quatre ans. »
Donnez-moi 10 millions et je m'en vais, donnez-moi 8 millions, qu'est-ce que je peux dire… Oui, de toute façon je m'en vais !
Ces hommes sont à l'origine de l'investissement dans les immeubles prestigieux de Slaone Avenue, ancien siège de Harrod's dans le quartier de Chelsea, à Londres, achetés par le Vatican. Gianluigi Torzi est accusé de détournement de fonds, extorsion, fraude aggravée et blanchiment.
Car le Vatican a décidé de prendre les choses en main depuis que François a été élu pape en 2013, mais cela prend du temps… Nous rencontrons le nouvel homme fort des finances du Vatican non loin des cloches de Saint Pierre. Monseigneur Nunzio Galantino veut obtenir réparation et que cesse le scandale : « Ces personnes ont été exclues. C'est maintenant au tribunal de quantifier les dommages financiers et d'établir combien nous pourrons récupérer... Si et combien nous pourrons récupérer ! » se désole le président de l’Administration du patrimoine du siège apostolique (Apsa).
Une estimation indépendante de cette opération malheureusement regrettable évalue nos pertes entre 66 et 160 millions d'euros !
Monseigneur Nunzio Galantino, président de l’Administration du patrimoine du siège apostolique (Apsa), se voit confier les finances de la Secrétairerie d’État également.
Depuis ce scandale, le Vatican se réforme plus vite. Nunzio Galantino a désormais la main sur toutes les finances. Il n'y aura plus de comptabilité cachée à la Secrétairerie d'État, assure-t-il, puisque tout sera centralisé à l'Apsa, l'administration du patrimoine du Saint Siège, d’ici à fin janvier. Une révolution !
Le pape reprend la main sur les investissements financiers
C’est le pape François qui l'a voulu. C’est lui qui impulse les réformes. Il a créé un secrétariat pour l’Économie, organe de contrôle, puis une autorité de supervision financière, et il change les hommes. C'est lui qui tranche, péremptoire, lorsqu'il se sent trahi. Il y a trois mois, le 24 septembre 2020, François a licencié l'un des prélats les plus influents, le cardinal Becciu ; il lui a supprimé ses droits de cardinal, fait rarissime. Le cardinal Becciu pourrait être lié au scandale de Londres, mais aucun procès n'est pour l'instant annoncé contre lui.
Au cœur de ce scandale apparaît un autre personnage, baptisé par la presse « la dame du Cardinal ». Cecilia Marogna est soupçonnée d'avoir dépensé plusieurs centaines de milliers d'euros du Vatican – des sommes données par le cardinal Becciu – en sacs, meubles et vêtements de luxe. Arrêtée, emprisonnée, elle ne sera finalement pas extradée vers le Vatican mais relâchée au bout de treize jours. Une audience d’extradition est fixée au 18 janvier prochain.
Entre intrigues et secrets, la dame du Vatican
Devant la fontaine des Quatre-Fleuves, place Navone, à deux pas de l'ancien siège historique du Grand Orient d'Italie, nous retrouvons le franc-maçon Gioele Magaldi. Il connaît bien Cecilia Marogna, avec qui il a travaillé dans son mouvement politique Roosevelt, et l’a immédiatement défendue : _« Cecilia est instrumentalisée dans cette affaire »,_assure-t-il, car selon lui, elle travaille dans les renseignements et a aidé le Vatican : « Cecilia m'a déjà dit qu'elle était intéressée par un parcours maçonnique et par les services secrets, car elle savait que j'avais beaucoup d'amis dans le milieu. Ces derniers temps, Cecilia Marogna aurait justement travaillé à la libération d'otages en Afrique. »
C'est une affaire dans laquelle se croisent des francs-maçons, le Vatican et les services secrets.
Intrigues, secrets au sein même du Vatican rendent les réformes très compliquées. Le journaliste Gianluigi Nuzzi, à l’origine des VatiLeaks qui ont ébranlé le Vatican, vient d'écrire Jugement dernier, le combat du pape pour sauver le Vatican de la faillite, aux éditions Flammarion. Selon lui, les ennemis du pape réformateur sont en train de former une nouvelle coalition : « Les gens qui ont intérêt à faire des affaires pas claires et qui se foutent de l’Évangile au sein même de la curie romaine [l’administration du Vatican, ndlr] vont s'unir avec ceux qui critiquent la ligne théologique du pape », explique le journaliste, persuadé que le pape a encore de nombreux ennemis au Vatican « Les conservateurs américains qui n'aiment pas ce pape-là car il serait trop moderne, trop de gauche aussi ; ce qui n’est pas imaginable parce qu'il n’y a pas de gauche et de droite en Vatican ! »
Le pape va continuer ses réformes parce qu'il n'y a plus de temps à perdre. Il faut faire vite.
Si les réformes accélèrent la justice prend le temps, un ancien président de la banque du Vatican attend sa sentence le 21 janvier prochain. Il pourrait être le premier dans l'histoire à être condamné à de la prison dans une affaire financière. Mais les faits remontent à près de vingt ans.
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