

LE FEUILLETON DE LE FRANCE, EPISODE 38 - Pendant toute une semaine, nous allons sur le terrain écouter les Français parler de ce qui, à leurs yeux, mérite le débat. Nous sommes aujourd'hui dans la Nièvre, où des soignants se battent pour maintenir leur hôpital à flot.
- Victor Dhollande Journaliste
Laetitia Jeannet travaille dans le service de chirurgie vasculaire et thoracique. 20 ans d’ancienneté dans l’hôpital, les mauvaises périodes, elle en a connu beaucoup. Mais rien de comparable avec ce qu’elle vit ces dernières années. Des soignants qui manquent à tous les étages et de nombreux collègues qui partent, en permanence. La situation est telle que le maire de Nevers a prévu un pont aérien fin janvier pour faire venir des soignants de Dijon.
"Il n’y a pas de personnel…", explique-t-elle avec amertume. "On a beaucoup d’infirmières qui sont parties en libéral, qui n’ont pas forcément abandonné le métier mais qui sont parties travailler à l’extérieur de l’hôpital. Je pense qu'elles se sont lassées des horaires, ça change tout le temps. On peut faire une série de 3 matins, 1 jour de repos, 4 soirs. Et en plus, on a des nuits qui se rajoutent parce que le personnel de nuit est aussi très difficile à trouver. Plus personne ne veut faire de nuit."
Moins de médecins, moins d’infirmiers et forcément moins de lits ouverts… Emilien Berthome est cadre de santé. Il s’arrache les cheveux pour combler les trous dans les plannings. Si l’hôpital tient selon lui, c’est grâce à la bonne volonté des soignants. "C’est vrai qu’en tant que patient, ça peut être inquiétant", lâche-t-il.
"C’est un crève-cœur ne pas avoir assez de médecins"
"C’est très embêtant", abonde Laetitia Jeannet. "C’est très triste de laisser un patient sur un brancard toute une nuit, voire deux jours parce qu’on n’a pas de lits dans les services. On est à flux tendu tous les jours." "C’est vrai que de voir l’offre de soins se réduire à l’échelle du département, c’est quelque chose qui nous affecte", renchérit son cadre de santé.
Dans les couloirs de l’hôpital, Mathilde et Laura plaisantent. Une manière comme une autre de supporter leur quotidien. Car ces derniers mois, ces infirmières du service d'hémodialyse ont parfois l’impression de perdre le sens de leur vocation en travaillant dans un désert médical.
"Moi, ce qui m’énerve le plus, c’est le fait qu’on le dise mais qu’il n’y ait pas d’action derrière", explique Mathilde. "Après, aujourd’hui, nos patients, ils sont là, il faut les soigner, on fait avec ce qu’on a, que ça nous énerve ou pas, ça ne change pas grand-chose finalement. Il faut faire ce qu’on à faire, c’est notre boulot." "C’est une réalité, en plus dans la Nièvre on a une population qui est assez vieillissante, donc avec beaucoup plus de malades", analyse de son côté Laura. "Et ne pas avoir assez de médecins pour soigner les personnes, c’est un peu un crève-cœur. De savoir qu’il y a certaines personnes qui n’auront pas la possibilité d’être soignées en temps et en heure et qu’on pourrait peut-être passer à côté de quelque chose, qui à la base pourrait être simple et qui finit par se compliquer, c’est dommage d’en arriver là."
"Nous avons à ce jour 30 postes infirmiers vacants"
Le travail au quotidien, c’est aussi tenter par tous les moyens d’attirer de nouveaux soignants à l’hôpital. Magali Giron, coordinatrice générale de l'offre de soins, et Olivier Jallet, cadre supérieur à la direction des soins, s’y attèlent comme ils peuvent même s’ils ont du mal à cacher leur pessimisme. "Nous avons à ce jour 30 postes infirmiers vacants", indique la première. "C’est énorme parce que ça veut dire que d’une part, tous les pôles de soins sont affectés, et puis nous sommes aussi contraints à des réorganisations de services. Nous avons réduit d’une certaine manière l’offre de soins de certaines filières, la pneumologie par exemple, la filière pédiatrique".
Et Olivier Jallet d'énumérer les solutions qu'ils mettent en place : "on a essayé par exemple d’augmenter les effectifs des équipes de renfort, les équipes de suppléance grâce à des mesures qui ont pu être votées pour aider les services au maximum. Nous faisons appel à l’intérim, ce qui n’était pas fréquent."
Le sentiment de voir leur hôpital se rétrécir est dur à vivre, combiné au manque de satisfaction des patients qui finissent par user le moral des soignants. Alors ils misent sur l’entraide, ils s’accrochent tous à leur idéal, celui de travailler à l’hôpital public, en espérant que cette crise finira par se calmer.