Lutte contre la pollution lumineuse : la métropole de Montpellier veut faire plus

La place de la Comédie à Montpellier, festival de lumières
La place de la Comédie à Montpellier, festival de lumières ©Radio France - Sophie Bécherel
La place de la Comédie à Montpellier, festival de lumières ©Radio France - Sophie Bécherel
La place de la Comédie à Montpellier, festival de lumières ©Radio France - Sophie Bécherel
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L'éclairage nocturne, outre qu'il gêne les observations du ciel, perturbe les organismes vivants. Face aux menaces sur la biodiversité et sur la santé humaine, la métropole de Montpellier a décidé d'un plan. Images satellites et études de terrain vont l'y aider.

Dans le quartier Richter, le long du Lèz, après des heures de pluie, les passants profitent d'une éclaircie à la tombée de la nuit pour déambuler sur la promenade piétonne. Aucun ne prête attention à l'éclairage public. Pourtant ici, on peut voir l'avant et l'après des efforts entrepris pour maitriser la pollution lumineuse dans la ville. Les lampadaires, autrefois équipés de 2 tubes néons verticaux de 120 watts et rayonnant à 360 ° ont été modifiés. Des LED soigneusement choisies et orientés vers le sol diffusent une lumière plus douce dont la puissance a été réduite de moitié. "Un travail très fin adapté aux besoins des usagers" commente Philippe Clavel, responsable du bureau d'étude conception d'éclairage à la métropole de Montpellier_._

Le Pont Juvenal avec ses lampadaires anciens. La diffusion de lumière non contrôlée se reflète dans le cours d'eau en contrebas. Une gène pour la faune.
Le Pont Juvenal avec ses lampadaires anciens. La diffusion de lumière non contrôlée se reflète dans le cours d'eau en contrebas. Une gène pour la faune.
© Radio France - Sophie Bécherel
Le long du Lèz, les réverbères modifiés.
Le long du Lèz, les réverbères modifiés.
© Radio France - Sophie Bécherel

Le halo lumineux de Montpellier visible depuis le Mont Aigual

Cela fait 30 ans que ce Cévenol s'attache à limiter la pollution lumineuse. Une menace planétaire qui alarme astronomes,  écologues, médecins et amoureux de la voie lactée. "Il suffit d'aller sur le Pic Saint Loup en pleine nuit pour constater le halo lumineux généré par la métropole. Par beau temps, on le voit même depuis le Mont Aigual à 50km d'ici" raconte Stéphane Jaulin, de l' Office pour les insectes et leur environnement (OPIE).

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L'arrivée des LED, ces diodes électroluminescentes bon marché a engendré une "folie de l'éclairage" constatent ensemble Philippe Clavel et Stéphane Jaulin. Ronds-points, façades, arbres, on s'est mis à tout éclairer. Pourtant l'alerte est générale. Parmi les très nombreuses espèces nocturnes, les papillons. "Ce sont de gros pollinisateurs" rappelle Stéphane Jaulin. "Il existe en France 260 espèces de papillons de jours et 5000 qui vivent la nuit. La reproduction des plantes à fleurs se font grâce à _ces espèces nocturnes__. Or l'éclairage nocturne les gêne dans leur cycle, leur capacité à se nourrir, se reproduire, ce qui fait qu'elles_ ne peuvent plus polliniser les plantes". Ce biologiste cite aussi les chenilles qui disparaissent là où il y a des lampadaires selon une étude anglaise ou encore la compétition entre éclairage public et naturel chez les vers luisants. Les mâles n'arrivent plus à trouver les femelles. La reproduction chute. Sans parler des espèces qui se dirigent avec les astres ou la lune et qui, éblouit, terminent leur vie par un crash sur des phares de voiture ou un réverbère.

Un état des lieux des trames noires 

La métropole a donc décidé de lancer une étude avec l'INRAE et l'OPIE  pour établir un inventaire des espèces présentes et mesurer sur la durée l'impact de l'éclairage urbain. Dans un premier temps, une cartographie de la pollution lumineuse (la trame noire) sera réalisée afin de la superposer par la suite à la carte de la trame verte (continuité de végétation indispensable à la conservation de la biodiversité).

Pour y parvenir, les élus ont fait appel aux experts de DarkSkyLab, un bureau d'étude spécialisé dans la pollution lumineuse, lequel s'appuie sur les images satellitaires décryptées par les  membres de la TeleScop, une société coopérative et participative montée par d'anciens chercheurs. Il faut d'abord "grâce aux images satellites, détecter les endroits les plus contributeurs de  pollution lumineuse" détaille Bastien Nguyen Duy-Bardkaji, l'un des fondateurs. Seuls deux satellites permettent à ce jour de réaliser cet inventaire ajoute t-il: l'un de la NOOA (service météo de la NASA) qui met ses images à disposition depuis 2011 et l'autre chinois Jilin de la société CGsat. Le premier, avec ses images de grande superficie permet d'établir un état des lieux à l'échelle régionale quand le second avec son important niveau de détail permet de distinguer des détails à l'échelle d'un quartier.

Face à l'écran d'ordinateur, Bastien Nguyen Duy- Bardkaji détaille : "sur cette image acquise en aout 2020, on voit bien se détacher le centre de Montpellier, l'Ecusson avec le quartier de la Comédie très éclairé, le quartier Antigone et la nouvelle gare ferroviaire. La photo contient des informations dans le rouge, le vert et le bleu, des longueurs d'ondes différentes qui permettent, après traitement, d'extraire des informations, savoir où sont les sources lumineuses et distinguer les LED des lampes à sodium". À présent que l'état des lieux est fait, il est possible d'évaluer sur 5 ans la nouvelle politique d'éclairage qui sera mis en place par la ville.

Réapprivoiser la nuit

L'angle d'attaque du plan est le vivant. La biodiversité telle qu'on l'entend souvent, les plantes et les animaux mais aussi l'humain insiste Bruno Paternot, l'élu en charge de l'esthétique lumineuse et ambiance sonore de la ville. "On promeut le vivre ensemble entre espèces et retrouver des temps de repos, des temps où on a le noir complet." Cela suppose de réduire quand il le faut et uniquement quand il le faut la pollution lumineuse, qui, souligne t-il a augmenté de 30% au cours des 20 dernières années. La nouvelle équipe municipale entend demander aux habitants quels sont leur besoin en lumière (quand et comment). Sans attendre, "à partir du mois d'octobre, l'éclairage de 5 axes routiers sera éteint de 23 h à 5 heures du matin, parce qu'il n'y a que des véhicules qui circulent et leurs phares suffisent à éclairer la chaussée. En contrepartie, l'éclairage de 5 écoles sera revu pour mettre en avant ces pôles d'éducation majeurs pour la cité" plaide l'élu. 

"L'idée est d'éteindre 80% de la ville la nuit, comme le fait La Rochelle. On veut revoir le ciel étoilé, or 60% des enfants citadins n'ont jamais vu la voie lactée" ajoute Bruno Paternot. Ensuite, ce sont les zones commerciales, les zones de bureau qui seront ciblés. Enfin, au cas par cas les quartiers d'habitations. L'extinction restera partielle puisqu'elle ne prendra effet "qu'en cœur de nuit, quand il n'y a personne". Une décision qui suscite jusqu'ici l'adhésion des acteurs impliqués dans la concertation. Pour Jean-Denis Lafon, du Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), "le sentiment d'insécurité est plus important avec moins de lumière. Ce que nous avons observé, c'est qu'avec un peu plus de lumière, on dissuade certains comportements." Il reconnaît que ce sentiment doit être confronté aux statistiques car rien ne dit que le fait de diminuer l'éclairage urbain fera grimper la délinquance. "Il est certain que l'essentiel des faits de délinquance ne se passe pas entre 23 h et 5 heures du matin", note t-il.

Des demandes et des enjeux multiples et parfois contradictoires

La peur du noir relève de l'intime. Se réapproprier la nuit, c'est un chantier. Des marches exploratoires vont débuter, qui consistent à déambuler dans la ville avec des groupes de personnes pour repérer les zones de danger et identifier les endroits où il faudrait diminuer ou augmenter l'éclairage. "Chez les femmes, il y a une crainte quand l'éclairage diminue car elles perdent la possibilité d'anticiper le danger en le repérant", confie Emmanuelle Boyer, membre de la commission du droit des femmes. La concertation se poursuit et de nouveaux dispositifs visant à rassurer apparaissent : une application téléphonique  qui permet de renseigner son trajet, une autre FLAF, qui vise à signaler toute agression vis à vis des personnes LGBT. L'arrêt des bus à la demande est aussi envisagé.

Sur les 32 communes de la métropole, certaines ont pourtant déjà sauté le pas en éteignant toute la nuit leur éclairage public. Reste la question de l'éclairage privé : celui des habitations, des zones commerciales ou de bureaux. Il existe une loi, un arrêté qui restreignent les heures d'éclairage des enseignes mais ils ne s'appliquent pas à tous les bâtiments. Le travail de La TeleScop devrait prochainement permettre d'évaluer la part de l'éclairage public dans la pollution lumineuse. Et de suivre sur 5 ans l'impact des efforts pour rallumer la nuit.

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