

Pour venger l'attentat d’Istanbul qu'il attribue à la guérilla kurde du PKK, le président Erdogan a lancé des raids aériens contre les régions kurdes du nord-est syrien et menace de lancer une offensive terrestre Dans les villages qui bordent la frontière, côté turc, chacun retient son souffle.
Au bout d’une route bordée de champs de pistachiers et d’oliviers Karkamış. Le village s’arrête au poste frontière cerné de barbelés. La Syrie est juste là, Jarablus à portée de vue, 1 km à peine à vol d’oiseau. Il y a une dizaine de jours des roquettes tirées de Syrie en riposte aux raids aériens turcs ont tué trois personnes, dont une institutrice et un enfant.

L’ambiance est pesante. Le bruit sourd d’une explosion au loin. Des rues vides, quelques poules qui picorent dans la poussière, des jeunes désœuvrés qui traînent, beaucoup de militaires et de policiers en civil. Les langues peinent à se délier. Les stigmates de l’attaque ont été effacées, les trous de roquettes dans la chaussée, ont été rebouchés. Seules une façade éventrée et des fenêtres brisées témoignent des dernières violences. Attablés autour d’un çay Hossein et Bekir retraités racontent. "On était assis ici, on s’est jeté au sol. Il y a eu 10 bombes (attaques) en 10 minutes 10 en 10 minutes Une est tombée ici, une autre là, et encore une autre plus loin. Le fracas de l’explosion ! On s’est dit que cela allait tomber ici aussi et on s’est couché par terre là. Quand on s ‘est relevé j’ai vu de la fumée et je me suis dit, "ma maison s’est envolée !" Je me suis mis à courir. Quand la fumée s’est dissipée, j’ai vu que c’était celle de mon ami".
"Avant la guerre, tout était tellement bien"
Karkamış à portée d’obus… en première ligne de représailles si la Turquie devait attaquer. "Quel gâchis !", soupire Bekir. "Avant la guerre, tout était tellement bien, les gens d’ici allaient en Syrie, à Homs , à Alep, à Damas… Ils achetaient des petits souvenirs qu’ils rapportaient. C’étaient les beaux jours."

Cette offensive terrestre dont menace le président turc, Hossein n’en veut pas. "Ce sont nos familles là-bas. Nos enfants se marient ensemble. Mes cousins habitent en Syrie. Nous ne voulons pas qu’ils soient nos ennemis. Nous voulons la paix. Cette opération turque je suis contre. Ce n’est pas la solution. La solution c’est la paix avec Assad. Ils ont déjà attaqué El Bab, Afrin et qu’est ce qu’ils ont gagné ? Des morts chez eux et chez nous" D’ailleurs il ne veut pas y croire. "Le président de la république il veut y aller mais il lui faut la permission des Américains, autrement ce n’est pas possible. Et puis il doit aussi avoir l’autorisation de la Russie, qui dira jusqu’où il peut aller. Erdogan il fait de la propagande à la télévision, il joue les héros. Il dit nous allons y aller, les tuer et les détruire. Il veut le faire mais la réalité c’est autre chose".

Ce n’est pas l’avis du propriétaire du supermarché qui a été touché par l’une des roquettes. Devant sa supérette, il montre les traces des explosions. "Ils peuvent nous bombarder ! Les Turcs vont les combattre et en trois ou cinq jours tout sera fini ! Vous croyez que notre gouvernement turc a peur du PKK et de sa milice syrienne ? Ca suffit ! Qu’ils dégagent. Avant c’était l’Etat islamique et maintenant les YPG. Tout ça c’est la même m... ! Un jour ils ont de longues barbes, et ils sont Daech le lendemain ils se rasent et ils passent côté kurde !"

"Tous contre cette intervention de la Turquie à Kobane"
De l’autre côté de l’Euphrate , la ville kurde de Suruç, face à Kobane. Kobane dont le président Erdogan a fait une cible. Dans la petite boutique où il vend de l’or, Hozan redoute que la Turquie ne passe à l’acte : "Malheureusement le régime turc fait toujours ce qu’il dit. Ils ne vont pas reculer. Les Etats-Unis ont déjà retiré leur soutien aux nôtres, les Européens ne disent rien. ils ferment les yeux. Bien sûr, les grandes nations défendent leurs intérêts. Mais 'l’ennemi' des Turcs est de l’autre côté et je crois qu’ils vont y aller. Notre peuple est inquiet face au risque de guerre. Nous sommes tous contre cette intervention de la Turquie à Kobane. On devrait réagir, protester mais ici c’est comme en Syrie, nous sommes opprimés par le gouvernement. Si nous protestons, ils nous arrêtent, ils nous emprisonnent et nous torturent. Il y a eu des morts et les gens ont peur, alors ils ne parlent pas.".

Une peur sourde qui se nourrit de chaque signe. Comme cette nouvelle route que construit la Turquie entre Suruç et la frontière syrienne, frontière scellée pourtant par un mur de béton surmonté de barbelés... Une nouvelle route deux fois plus large que l'actuelle. La Turquie préparerait elle son retour dans la région ? Sinon, s'interroge un habitant, à quoi bon construire une telle route ?

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