Manque de structures d'accueil pour autistes adultes : la détresse des familles

Foyer d'Accueil Médicalisé Interdépartemental de Bécheville aux Mureaux
Foyer d'Accueil Médicalisé Interdépartemental de Bécheville aux Mureaux - Fondation des amis de l'atelier
Foyer d'Accueil Médicalisé Interdépartemental de Bécheville aux Mureaux - Fondation des amis de l'atelier
Foyer d'Accueil Médicalisé Interdépartemental de Bécheville aux Mureaux - Fondation des amis de l'atelier
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Reportage auprès de familles d'autistes alors que s'ouvre un Conseil Interministériel du Handicap. Il sera notamment question d'élargir la capacité d'accueil des autistes adultes dans des centres adaptés en France.

Il n'existe pas de structures adaptées pour les autistes devenus adultes en France : ainsi, sans solution, des parents, épuisés, sont souvent obligés de placer leurs enfants en Belgique

Selon le gouvernement, au 31 décembre 2019, 8 233 Français en situation de handicap étaient hébergés dans 227 établissements de Wallonie. Stopper cet exil forcé en proposant des solutions sur le territoire national : le sujet fera notamment partie de l'ordre du jour du Conseil Interministériel du Handicap qui se réunit ce lundi après-midi à Paris.  

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Une nouvelle structure en octobre en région parisienne

Un foyer d'accueil médicalisé (FAM) doit ouvrir en octobre aux Mureaux dans les Yvelines. 116 résidents adultes souffrant de troubles mentaux y seront hébergés, sur ce site co-financés par les départements d'Ile-de-France et des Hauts-de-Seine. L'établissement, aux lignes horizontales aux tons vanille et ocre, a été édifié sur une clairière dans le bois de Bécheville. Au rez-de-chaussée, les chambres, toutes équipées de salle de bain, portent des noms de villes, Marrakech ou Moscou. À l'étage, l'invitation à l'imaginaire et au voyage se poursuit avec des noms de fleuve, le Nil ou l'Amazone. 

Dans ce centre : des unités de vie, des salles d'activités, des espaces extérieurs sécurisés, une terrasse protégée et une pièce, indispensable comme l'explique le directeur du FAM Boujma Gouirir : la salle de repos. "C'est ici que le résident agité pourra se calmer, s'apaiser, se réguler avant de revenir vers le groupe."

Pas encore achevé, pas encore ouvert, ce projet qui sera géré par la Fondation des Amis de l'Atelier suscite beaucoup d'espoirs chez des familles qui patientent depuis des années pour pouvoir souffler. Ces parents à bout de forces, Albert Fernandez, directeur général adjoint chargé des Solidarités au Conseil Départemental des Yvelines, connait leur souffrance et leur chagrin : "J'ai plus de 600 personnes adultes qui sont en attente !" reconnait-il. "Et il a fallu se battre en 2015" précise-t-il avec amertume, "pour obtenir des fonds de l'Etat parce que le Ministère bloquait."

Anne  Sommermeyer, fondatrice des Amis de l’Atelier  est une pionnière de l'accueil spécialisé
Anne Sommermeyer, fondatrice des Amis de l’Atelier est une pionnière de l'accueil spécialisé
- Fondation des Amis de l'Atelier

Le maire des Mureaux François Garray enfonce le clou : "C'est un sujet qui n'est pas traité en France : la notion d'autisme pour adulte. Il n y a pas de structures ! Autant il existe des structures pour la Petite Enfance mais pas pour adultes. Pour nous, c'était important de le faire."

Des parents qui envisagent le pire

Combien sont-ils ces parents à bout de force, condamnés à être des aidants familiaux à vie ?
"C'est limite de la maltraitance !" alerte Arnaud Moisdon, papa de Joséphine autiste de 24 ans. Ce père de famille de 51 ans travaille dans l'immobilier à Nantes : "Lorsqu'on vous diagnostique l'autisme, la maladie de votre enfant, c'est un bulldozer qui entre dans votre maison, votre vie qui explose". 

Avoir Joséphine à domicile, c'est une surveillance constante. Elle ne parle pas, n'a aucune notion du danger, elle n'est pas propre, elle porte des couches, il faut la laver, l'habiller, l'aider à manger. "Mon ex femme et moi, nous jonglons en permanence pour nous en occuper à tour de rôle. Cela veut dire quoi ? Que nous n'avons pas le droit de vivre ! Dans notre malheur, nous avons de la chance car notre fille est gentille, douce. Nous parvenons à faire des choses avec elle, l'emmener au restaurant, en voyage sur un ferry ! Mais ce n'est pas toujours possible, j'ai vu des garçons autistes violents, agressifs même envers leurs parents. 

"Je comprends qu'il y ait des infanticides, et, oui, j'ose le dire, je comprends qu'il y ait des suicides de parents poussés à bout." (Arnaud Moisdon, père d'une enfant autiste)

Arnaud Moisdon et sa fille Joséphine autiste de 24 ans
Arnaud Moisdon et sa fille Joséphine autiste de 24 ans
- A.Moisdon

La mort comme échappatoire, Frédérique Ollivier, qui vit à Calais, reconnait y avoir songé : "C'est vrai que ça m'est arrivé d'avoir des idées très sombres, et de me dire, si je n'ai pas de solution, elle sera extrême."

Maman d'un autiste sévère, Frédérique, qui est enseignante, a dû se résoudre à confier son fils Thibaud, 20 ans cette année et qui avait atteint la limite d'âge pour rester en IME Institut Médico-Spécicialisé, à une structure à Tournai de l'autre côté de la frontière. Un déchirement à cause d'un choix politique, explique cette maman : 

"Sincèrement si la Belgique n'acceptait pas nos cas les plus sérieux, nos cas les plus lourds, on aurait des drames parce que l'État français n'a jamais fait le choix de construction de centres. C'est ça, la cruauté"

La semaine dernière, battante infatigable, cette femme, déterminée à faire revenir son enfant en France pour le voir plus souvent, a pris sa voiture à la recherche d'un établissement. Frédérique Ollivier a roulé jusqu'à Tours, pour visiter une structure. Elle en est repartie en pleurant, des larmes de soulagement et de joie : "J'ai trouvé le lieu qui serait adapté à mon fils, l'endroit correspond parfaitement, mais comme d'habitude on me répond : 'On vous met sur liste d'attente!' Bon, le côté positif c'est de voir que oui c'est possible en France, des unités à taille humaine où mon fils aurait sa propre chambre, sa propre salle de bain. Si Thibaud est accepté, il faudrait que je déménage, car 541 kilomètres pour le voir, ce n'est pas faisable."

Exil forcé vers la Belgique

Les périples en voiture, Isabelle*, qui vit en Ile-de-France, connait ça par cœur. Maman de Timothée, jeune adulte autiste, elle raconte avec une voix émue l'exil forcé vers la Belgique il y a 10 ans : "En région parisienne, on nous dit débrouillez-vous ! J'ai cherché des établissements, j'ai envoyé des demandes d'admissions, souvent on ne prenait même pas la peine de me répondre. J'en ai eu marre de chercher. J'ai pris mon fils et on est allé en Belgique. C'est un déracinement difficile pour toute la famille. J'ai un deuxième enfant, et lui aussi a souffert de tout ça. Il est toujours passé après son frère. Toujours. Quand il s'agit de payer une aide technique, d'acheter un fauteuil roulant, alors on veut bien. Ou de montrer les personnes handicapées performantes qui réussissent à briller dans des compétitions sportives.... mais le handicap mental, psychique, autistique, il est encore honteux".

La Tête au carré
54 min

*Le prénom a été modifié