2.600 Afghans ont été évacués de Kaboul par les forces françaises après la prise de pouvoir des talibans en août. Ils ont ensuite été répartis dans des logements pour demandeurs d’asile, un peu partout sur le territoire français. France Inter a retrouvé quatre familles dans le Puy-de-Dôme.
Sur les hauteurs de Saint-Eloy-les-Mines (Puy-de-Dôme), commune de 3500 habitants, un groupe d’enfants quitte une résidence HLM des années 1970. Ils prennent le chemin de l'école primaire, comme dans leur vie d'avant, se chamaillant joyeusement sur le football. Ce sont leurs pères qui les déposent.
Ahmadi, 34 ans, était il y a encore quelques semaines conseiller sécurité pour le parlement afghan et les troupes étrangères. Aujourd'hui, il est "papa à plein temps !" Installé depuis mi-septembre au CADA (Centre d'Accueil pour Demandeurs d'Asile) de Saint-Eloy-les-Mines, il a pleinement embrassé son nouveau rôle : "J’amène les enfants à l’école tous les matins, je les récupère le soir. J’ai dit à ma femme de se reposer, je prends tout en main." Même scénario pour Ahmad, qui était producteur de cinéma : "La priorité maintenant avec ma femme, ce sont les enfants, leur avenir, qu’ils se couchent tôt et se lèvent pour aller à l’école. Ils sont très joyeux, confiants, ça nous rend heureux."
Yoann Le Quemenneur, directeur de l'école, accueille dans sa classe de CM2 deux enfants afghans (il y a sept nouveaux arrivants tous niveaux confondus). Ils ont fait leur rentrée une semaine après les autres élèves. "On savait que beaucoup d'élèves allaient arriver en début d'année, on était prêts à les accueillir. On a préparé nos classes, les élèves, à les accueillir. Tout s'est très bien déroulé. Là, sur la leçon sur les polygones que je viens de faire, je leur avais déjà montré les mots en persan avant, ça fait deux semaines qu'on travaille dessus, et ils apprennent maintenant les mots en français."
"Ce sont des élèves qui sont déjà allés à l'école, qui sont éduqués, qui connaissent toutes les règles dans leur langue. Certains sont parfois même plus performants que certains élèves que j'ai ici. Dans quelques mois, ils parleront français ; ça va aller très vite." Yoann Le Quemenneur, directeur de l'école primaire de Saint-Eloy-les-Mines
On retrouve Ahmad, et Ahmadi, qui vient de déposer son petit dernier de 4 ans, à la crèche, sans aucun pleur. Les enfants semblent s’être acclimatés. Pour les adultes, Kaboul est encore dans la tête. "J’ai du mal à dormir la nuit, confie Ahmad_. Je suis inquiet pour mon père et mes frères. Ils devaient être évacués par le gouvernement français, mais l’opération s’est terminée trop tôt. Maintenant ils vivent cachés". Mais c’est l’avenir qu’ils regardent : "J’espère que la France va m’aider pour ma vie professionnelle. Je fais du cinéma depuis toujours, ma famille vit du cinéma, mon but c’est de recommencer au plus vite". Ahmadi souhaite aussi avancer rapidement : "O_n voudrait que la France nous donne l’asile au plus vite, pour qu’on puisse devenir autonome, travailler, apprendre le français, la culture française. Parce que c’est notre maison maintenant". Le trentenaire aimerait monter sa propre entreprise, grâce au master en gestion qu'il a en poche.
D'une vie aisée à une vie de réfugiés
Ils avaient en Afghanistan une vie confortable, aujourd’hui, c’est une vie de réfugié : 200 euros d’allocation par mois et les colis de vêtements et de nourriture donnés par les Restos du Cœur, le Secours populaire et le Secours catholique. Pas question de se plaindre. La question est éludée pudiquement. Abdul, arrivé avec quatre de ses enfants et deux de ses neveux, résume : "On a nous sauvé la vie. On nous a donné une maison, des vivres. Pour le reste, pas de souci, on se débrouille."
Les appartements du CADA sont grands, mais un peu défraîchis, l'aménagement est minimaliste. Ali, 26 ans, journaliste et activiste politique, est, lui, arrivé seul. Dans sa chambre, sur la table de chevet, trônent deux livres en français, ramenés de Kaboul. "Quand j’étais en Afghanistan, mon rêve c’était de venir étudier dans une université française", raconte le jeune homme_. "Du coup je suis très content d’être ici, mais en même temps très triste pour mon pays. J’aurais voulu apprendre des choses en France, et revenir appliquer tout ça en Afghanistan. Malheureusement les talibans sont arrivés, et mon pays est mort._"
Les Afghans évacués de Kaboul par les forces françaises ont passé dix jours en quarantaine avant de pouvoir déposer leur demande d'asile au guichet unique de leur préfecture d'accueil, avant d'être orientés vers un CADA. Mais ce n'est pas l'étape finale de leur parcours, loin de là. Ils doivent maintenant passer un entretien avec l'OFPRA (Office Français pour les Réfugiés et Apatrides) afin de finaliser leur demande. Il y a très peu de chances pour qu'elle soit refusée : "La France a organisé leur évacuation vers la France, ce n'est pas pour leur dire au revoir ensuite" explique Barbara Dodeuil, chargée d'accompagnement chez Forum Réfugiés, qui gère le CADA de Saint-Eloy-les-Mines. "Et ils sont convoqués à l'OFPRA beaucoup plus vite que d'autres, qui attendent parfois un an. Ils sont quasi assurés de ne pas avoir à aller défendre leur dossier devant la Cour Nationale du Droit d'Asile. Il y a de grandes chances qu'ils obtiennent leur statut directement après la phase OFPRA. Et ensuite, nous les orienterons vers d'autres dispositifs d'hébergements. Ils signeront le CIR, le Contrat d'Intégration Républicain, et auront obligations de suivre des cours de français, de l'instruction civique, et se verront proposer une inscription à Pole Emploi, des formations, en fonction des profils".
En attendant cette nouvelle étape et un probable nouveau déménagement, l'une des filles d'Abdul résume : "C'est bien ici, après la guerre en Afghanistan, on va pouvoir se reposer."
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