À Madagascar, les conséquences de deux ans de famine

Dans le village de Mahabo Mitsinjo, au Sud de Madagascar, les équipes d'Action contre la faim viennent en aide aux bébés malnutris
Dans le village de Mahabo Mitsinjo, au Sud de Madagascar, les équipes d'Action contre la faim viennent en aide aux bébés malnutris ©Radio France - Rémi Brancato
Dans le village de Mahabo Mitsinjo, au Sud de Madagascar, les équipes d'Action contre la faim viennent en aide aux bébés malnutris ©Radio France - Rémi Brancato
Dans le village de Mahabo Mitsinjo, au Sud de Madagascar, les équipes d'Action contre la faim viennent en aide aux bébés malnutris ©Radio France - Rémi Brancato
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Alors qu'un deuxième cyclone menace Madagascar, trois semaines après le premier, l'insécurité alimentaire touche toujours le Sud de l'île, en proie à deux années de sécheresse. Dans le Sud, 1,5 million de personnes souffrent de malnutrition et l'aide humanitaire reste indispensable. Reportage.

Toutes les deux semaines, le rituel se répète pour les équipes d'Action contre la faim (ACF) de Békily, dans la région de l'Androy, dans le Grand Sud de Madagascar. Olivier et Louis Modeste, les infirmiers, installent, tables, balances et toises sous cet arbre au centre du village de Mahabo Mitsinjo. Une trentaine de femmes s’assoient sur une natte, leurs bébés comme éteints dans les bras. Tous ou presque sont en situation de malnutrition dans ce village où l'ONG intervient depuis 1 mois et demi.

Interception
47 min

Ce garçon de 14 mois passe dans la balance, qui n'indique que 8 kilos. "Il a de la toux, de la fièvre, des diarrhées" explique sa mère Rameti, qui peine à nourrir son bébé. "Mon fils n'arrive pas à manger, je n'ai que du bouillon de plantes à lui donner. Son ventre gonfle, il crie beaucoup" raconte-t-elle :  "il n'y a rien à manger chez nous parce que ça fait maintenant trois ans qu'il n'y a pas eu de pluie". Alors elle reçoit de nouveaux sachets en plastique de pâte d'arachide nutritionnelle pour son bébé, les "plumpy nut". Les infirmiers en distribuent des rations pour deux semaines pour chaque bébé concerné.

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Les bébés, premières victimes de la faim

Dans le Grand Sud de Madagascar, selon le cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC) que constitue les organisations qui interviennent dans le secteur, 1,5 million de personnes sont en situation d'insécurité alimentaire et parmi elles, les enfants de moins de cinq ans sont les premières victimes. A Ambatosola, la commune dont dépend le village de Mahabo Mitsinjo, l'agent du centre de santé de la commune le constate. "Les enfants sont victimes de malnutrition directes, mais aussi indirectes, en raison du manque de lait maternel pour les nourrir" souligne Rostand, "les enfants malnutris qui ne reçoivent pas de soins risquent un retard de développement psycho-intellectuel et dans le pire des cas, ils risquent de mourir". 

"Ce sont les enfants qui ne viennent pas jusqu'à nous qui meurent"

Alors quand ils ne guérissent pas dans leur village, il faut les transférer à l'hôpital, à plus d'une heure de piste à Békily, c'est un bâtiment décrépi, qui accueille un CRENI, un centre de récupération nutritionnel intensif. "Mon bébé vomissait beaucoup et les médecins ont trouvé que son poids était trop faible" raconte Sotinandra, son bébé de 8 mois dans les bras. "Elle pesait 4,2 kg à son arrivée et elle pèse 4,6 kg aujourd'hui mais son poids normal devrait être 6,2 kg" explique Diana, l'infirmière embauchée par ACF pour faire fonctionner ce service. Ici, elle assure n'avoir vu aucun enfant périr de la faim : "C_e sont les enfants qui ne viennent pas jusqu'à nous qui meurent, car ceux que nous prenons en charge ici, on arrive à les sauver_".

Des réfugiés de la faim près des villes

Dans le Sud de Madagascar, il n'y a aucune comptabilité officielle des morts de la faim. Dans les villages, on ignore combien ont péri. Depuis deux ans, pour survivre, des habitants fuient vers la ville. Aux abords d'Ambovombe, chef lieu de la région de l'Androy, l'ONG brésilienne Fraternité sans frontières les accueille à la "cité de la fraternité", un projet lancé en 2016.

Des réfugiés de la famine, à la cité de la fraternité, près d'Ambovombe, dans le Sud de Madagascar
Des réfugiés de la famine, à la cité de la fraternité, près d'Ambovombe, dans le Sud de Madagascar
© Radio France - Rémi Brancato

"Je suis parti il y a six mois" raconte Vahasanavori, six enfants, "je souffrais beaucoup à cause de la faim, du manque de nourriture et nous sommes venus ici en ville, avec mon mari : j'ai vendu la maison pour 80.000 ariary (18 euros) et ça n'a même pas suffi pour nous nourrir une semaine". Plus de 100 familles vivent dans cette cité de la Fraternité, débordées, reconnaît Prince Kalolo, son coordinateur. "Des personnes arrivent et on n'a pas la place" témoigne-t-il. 

"Des situations comparables à celles de pays en guerre"

"Avec des infrastructures, de la route, cela pourrait changer le processus de cet exode" estime l'humanitaire. Car si la famine est climatique pour le PAM, le Programme alimentaire mondial, le retard de développement des régions du Sud explique aussi la propagation de la faim. 

"Je n'ai jamais vu personnellement des enfants dans un tel état de dénuement comme les enfants au sud de Madagascar" estime Arduino Mangoni, directeur adjoint du PAM à Madagascar : "C_e sont des situations qui sont comparables à celles de pays en guerre_". Selon lui, les récoltes de 2022, prévues pour avril, sont encore incertaines. "A cause des tempêtes de sable, l'emprise des terres agricoles a diminué" souligne-t-il. Le président malgache a promis l'an passé de bitumer la principale route nationale du Sud et d'acheminer l'eau dans la région par pipeline. En attendant, les pluies irrégulières de ce début d'année ne rassurent pas pleinement les habitants.