Le maire veut construire une retenue d'eau, en pleine montagne, pour créer davantage de neige artificielle et sauver son domaine skiable haut-savoyard.
Pour la commune de La Clusaz, il s'agit de s'adapter au réchauffement climatique. Mais des opposants ne veulent pas de cette retenue collinaire. Ils estiment que ces travaux d’un montant de dix millions d’euros ne vont pas dans le sens de l'histoire. Une pétition a été signée par plus de 50.000 personnes. C'est une route forestière, caillouteuse, qui permet de monter dans ce bois de la Colombière, un endroit calme, sauvage, au bord du plateau de Beauregard, des épicéas ont été abîmés par la tempête de 1999, la brume se lève sur les sommets. "Devant nous, on commence à deviner la chaîne des Aravis. Notamment les sommets de la Clusaz et dernière nous on est plutôt en pleine forêt."
Nous sommes à 1500 mètres d'altitude, Simon Gunzburger, le directeur général adjoint de la mairie, défend l'intérêt de cette retenue d'eau, même si elle est proche d'une zone Natura 2000 ou d'une tourbière. Ici, en plein milieu de cette forêt clairsemée, face au Mont-Blanc, il y aura bien un trou béant, une cuvette de 20.000 mètres carrés, presque trois terrains de foot recouverts d'eau : "Toutes les digues seront revégétalisées. On sera sur un système de plan d’eau, comme un lac naturel. Avec une clôture tout autour, pour limiter les éventuelles intrusions."
La station possède déjà quatre retenues d'eau, pour la neige artificielle, mais elles ne suffisent plus pour la mairie : "C’est une réelle question de survie. Météo France et les spécialistes nous disent qu’en arrivant à un taux de couverture de 45% de notre domaine skiable, on a 30 ans de skiabilité devant.
À la Clusaz, le ski représente 2000 emplois et 20 millions de chiffres d’affaires sur le territoire. On n’est pas en mesure de remplacer le ski. On ne peut pas changer du jour au lendemain un modèle qui est en place depuis 60 ans dans les Alpes.
Mais cette retenue sera bien différente des autres, il s'agit de puiser de l'eau potable dans la montagne pour alimenter les fermes du plateau de Beauregard. Yvon Donzel vient de redescendre des alpages, ce jeune éleveur préside le syndicat des agriculteurs de la Clusaz, il défend le projet : "On peut manquer d’eau parfois en été. Le reblochon, on le fabrique tout de suite après la traite, matin et soir. Si on peut avoir des réseaux qui nous amènent cette eau potable, c’est important pour nous."
Mais les deux tiers de cette réserve sont destinés au ski, l'argument de l'eau potable ne tient pas pour Sandra Stavo-Debauge, une surfeuse réputée à La Clusaz. Elle est très engagée au sein du collectif Fier-Aravis, cette amoureuse de la neige dénonce une fuite en avant : "Le maire a demandé une dérogation de destruction d’espèces et d’habitat protégé. Ça me choque que l’on veille construire cette retenue en altitude, en haut. On va pomper de l’eau de source et on va la refaire descendre pour des canons à neige."
On a déjà plein d’autres choses à faire en montagne. Faisons du ski quand la neige est là. Ces canons contribuent au changement climatique. On veut guérir le mal par le mal.
Dans un village où tout le monde se connaît, il n'est pas toujours facile de s'opposer, l'enquête publique s'est terminée fin septembre : "Plus de 75% des personnes interrogées se sont opposées au projet. Beaucoup d’habitants ont témoigné de manière anonyme. J’ai reçu des pressions."
Si le directeur de l'école de ski français de La Clusaz s'est clairement positionné pour cette retenue, d'autres moniteurs indépendants sont contre. Cet exemple cristallise les tensions en Haute-Savoie. C'est un exemple de mauvaise adaptation au changement climatique pour Corentin Melé, de France Nature environnement : "Bientôt, ce sera bien plus difficile de faire de la neige artificielle, par rapport à maintenant. Ils essaient de pérenniser le tout-ski, qui est en bout de course."
Alors à quel moment la station sera-t-elle prête à tourner la page du ski, même en l'absence de neige naturelle ? La question est douloureuse, le président de la région Laurent Wauquiez investit d'ailleurs 30 millions d'euros pour les canons à neige. À La Clusaz, le projet a été voté et dans quelques semaines, les arbres de la Colombière seront coupés, les opposants eux envisagent un recours en justice, ils sont déterminés.
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