

On les appelle les Tirailleurs : 200 000 soldats d’Afrique Noire ont combattu pendant la Première Guerre mondiale. 15% sont tombés pour la France. Mais certains sont morts avant de combattre, comme en Gironde, Ils étaient internés dans un "camp d'hivernage", et ont succombé à des maladies.
Loin des champs de bataille, dans la forêt de La Teste en Gironde, 959 Tirailleurs, internés dans un "camp d'hivernage" ont succombé à des maladies et ont été inhumés. Ces soldats d’Afrique Noire ont combattu pendant la Première Guerre mondiale. Encore aujourd'hui, à la veille des commémorations du 11 novembre, des descendants aidés d'historiens amateurs s'efforcent de retrouver toutes les identités.
Abdoulaye N’Diaye franchit toujours la grille de cette paisible Nécropole du Natus, avec recueillement : "Quand je rentre ici, je commence toujours pas prier, parce que ce sont mes ancêtres qui sont là". Le grand-père de cet ingénieur aéronautique girondin a survécu à la Grande Guerre. Mais plus de 30.000 tirailleurs sont tombés. Et plus de 1.200 sont morts à cause de l’insalubrité du camp du Courneau, à quelques centaines de mètres de cette Nécropole en pleine forêt : le camp des Sénégalais, le camp de la misère. "Beaucoup sont morts en arrivant", raconte Jean-Pierre Caule, retraité historien amateur, qui trace l'histoire de ces hommes depuis une vingtaine d'années. "Ils arrivaient d'Afrique, même pas du front, pour les premiers. On sait que la pneumonie fait des ravages en très très peu de temps" Même des soldats qui reviennent du front pour se reposer, succombent, victimes de pneumonie.
Insalubre pour des jeunes africains qui débarquent dans l'humidité

"Il faut vous dire que tous les terrains qui sont en bas là étaient inondés", montre t-il du doigt. "On est dans un endroit humide", renchérit Abdoulaye N'Diaye. "Insalubre pour les Africains", complète Jean Pierre Caule. "Imaginez d'où ils viennent raconte Abdoulaye N'Diaye. "Ils viennent d'un endroit où il y a le soleil. Un jeune africain même dans la force de l'âge, il arrive, il a quitté tout ce qu'il connaissait, sa famille. J'imagine déjà le choc. Souvent ça n'est pas une question de guerre, ils ne sont même pas encore mobilisés pour aller au front, qu'on les a perdu !", se désole-t-il. Entre l’ouverture du camp en avril 1916, et celle de son hôpital en août, 250 tirailleurs meurent à l’hôpital d’Arcachon, 50 à La Teste. Inhumés dans les cimetières communaux. Plus de 950 hommes ensuite, en moins de 16 mois.
Un fichier pour classer, trier les noms et rétablir les identités
"Ils sont enterrés là", montre encore Jean-Pierre Caule d'un mouvement circulaire. "Plutôt que les envoyer à Arcachon parce qu'ils saturaient le cimetière, à La Teste pareil, on a fait ce cimetière du Natus". Corps éparpillés dans cette dune de sable, quasi à l’abandon, jusqu’après la 2de guerre mondiale… quand le curé de Biganos et des membres tenaces du Souvenir Français décident d’ériger un mémorial, avec la municipalité de la Teste. Monument aux morts inauguré en 1967, Et aujourd’hui, cinq grandes stèles métalliques sont gravées des noms des tirailleurs. Mais ces noms, il a fallu quasiment les tirer de l’oubli. "Vous voyez, j'ai un, deux, trois, quatre, cinq listes de tirailleurs sénégalais", égrène Jean-Pierre Caule, qui à force de recoupements entre ses listes d'état civil, les fiches de Mémoires des Hommes et les archives militaires, a bâti un fichier Exel impressionnant, qui classe ces noms et qui met en lumière les doublons, les erreurs manifestes.
"Les listes comprennent des noms et des prénoms des fois totalement différents les uns des autres, malgré des numéros de matricules identiques", précise l'historien inlassable. Un "Aboubacar" seul émerge par exemple de la liste. "Aboubacar, le nom est incomplet, il manque le nom" constate Abdoulaye N'Diaye. "Abdoulaye est souvent noté comme un nom, alors que c'est un prénom. Les personnes qui remplissent les fiches, notamment à l'enrôlement en Afrique, écrivent phonétiquement aussi. C'est bâclé. Donc on a des identités qui sont créées de toute pièce ! C'est souligner au passage, le peu de cas que l'époque faisait des hommes". Et puis il y a aussi ces jeunes béninois par exemple, qui se donnent des noms de guerriers et pas leur vrai nom. Certains se sont enrôlés contre l'avis de leurs familles.

Jean-Pierre Caule, Abdoulaye N’Diaye et des membres des communautés africaines ont passé des heures à rétablir les identités. Malick N’Daw l’ancien président de l’union des travailleurs sénégalais de France s’en souvient. "Je suis venu avec un intellectuel burkinabé universitaire et historien, je suis venu avec le président de l'association des maliens aussi, nous les avons beaucoup aidés à franchir un cap pour nommer, renommer et situer l'origine des hommes."
Quatre noms résistent encore à Jean-Pierre Caule. Pas question de les abandonner. Mais pour Abdoulaye N’Diaye l’histoire ne trouvera de toutes façons son épilogue qu’en Afrique. "Maintenant que ces personnes ont une existence avec leurs noms, comment fait-on le lien avec sa véritable famille ? Peut-être que des descendants pourront venir se recueillir ici. Ca c'est notre objectif ultime." Cela s'est déjà produit au cimetière de Lectoure dans le Gers, précise, optimiste, Malick N'Daw.
En attendant, l’union des travailleurs sénégalais de France organise - comme chaque 11 novembre, une commémoration à La Teste.
